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FLEUR LOINTAINE

vous, j’ai rendu grâces avec vous ! Car, sachez-le, j’ai d’excellentes nouvelles à vous annoncer… J’ai été méchant, bien méchant hier, malgré moi ; vous saurez tout, je vous le promets !

— Oh ! merci ! grand ami ! Vous m’arrachez à la mort !… »

Paul comprend qu’un sanglot étouffe la voix de la jeune fille. Après un instant elle continue :

« Êtes-vous déjà monté en avion ?

— Non, Mademoiselle Yvonne ; c’est demain le grand concours ; mais soyez sans crainte ! J’ai l’habitude des hauteurs. Et puis, voyez-vous, depuis ce que je viens d’apprendre, je me garderai bien de périr : je tiens à la vie plus que jamais ! Au revoir, Mademoiselle Yvonne ! Mille amitiés à toute la famille, et un gros baiser de ma part à Bébé ! »

Querelles d’amants, renouveau d’amour, dit le proverbe. Un fluide enflammé avait circulé à travers la ligne téléphonique… Yvonne montait maintenant dans sa chambre, pour procéder à sa toilette et faire disparaître les traces de larmes amères qu’elle avait versées depuis la veille : ses paupières rougies et démesurément gonflées disaient éloquemment tout ce qu’elle avait souffert. Mais la jeunesse a tant de ressources dans son organisme encore tout neuf ! Quelques lotions d’eau froide réparèrent bien vite « l’outrage » qui n’était pas celui dont parle le poète, et qui n’avait rien d’« irréparable », n’étant pas dû aux années, mais plutôt aux violents bouillonnements d’une juvénile passion. La jeune fille se contempla dans sa glace avec une complaisance inaccoutumée, et, toute pimpante, comme au premier déjeuner où elle avait connu le grand ami, elle descendit à la salle à manger pour faire part à tous les siens des heureuses nouvelles qu’elle venait de recevoir.

Pendant ce temps, à Montréal, Paul Demers s’offrait un copieux repas au restaurant Kerhulu, justement réputé pour ses vins et sa cuisine française ; un dicton populaire veut que l’esprit soit le principal régulateur de l’estomac : le cerveau et le cœur rassénérés, le jeune homme mangea avec un extraordinaire appétit, tout en admirant les panneaux de la grande salle Kerhulu, où sont peints sur fresque, les principaux monuments des grandes villes de France.

En se levant de table, il alla faire un tour dans le vaste immeuble de l’Université Catholique, qui porte le titre de l’Université de Montréal. C’était la période des vacances : toutes les salles des cours étaient fermées. Après avoir jeté un coup d’œil sur les vastes couloirs, il quitta le Quartier Latin pour se rendre au Consulat, sur la Place d’Armes.

Il n’attendit pas longtemps : le Consul Général de France rentrait après quelques minutes ; sur présentation de sa carte, Paul Demers fut immédiatement introduit. Il fit part des raisons de sa venue au Canada, présenta tous ses titres et passeports. Le Consul était un charmant causeur : « Je suis enchanté Monsieur, que vous soyez venu en ce pays pour une aussi patriotique mission. Nous avons déjà un Attaché commercial qui facilite les relations d’affaires entre la Nouvelle et l’Ancienne France ; il est débordé de travail et ne peut songer aux questions agricoles, pourtant capitales de nos jours ; vous le compléterez à merveille, Monsieur Demers. Bien que votre rôle n’ait rien d’officiel, sachez que vous serez toujours chez vous dans les Bureaux du Consulat : c’est un coin de la patrie lointaine, où nos compatriotes, habitant Montréal, se réunissent dans les grandes circonstances. Après demain, mercredi, vers 11 heures, comme suite à la fête qui se prépare, nous aurons ici une réception de nos As Français, qui sont venus prendre part au concours international d’aviation. Ensuite, un déjeuner (un dîner d’après le vocabulaire local) sera servi à midi au grand Hôtel Ritz-Carlton, rue Sherbrooke.

« Vous me feriez plaisir, Monsieur Demers, ajouta aimablement le Consul, de vous rendre à l’invitation toute cordiale que je vous fais, de prendre part à cette fête de famille. »

Paul Demers, agréablement surpris, s’empressa d’accepter. Il annonça du reste à son Excellence qu’en qualité d’ancien poilu, il devait prendre place sur l’un des hydroplanes. Après avoir reçu les chaleureux compliments du Représentant officiel de la France, le jeune homme prit congé. De plus en plus, il rencontrait des encouragements aux projets qui lui tenaient au cœur ; il prenait pied sur cette terre canadienne où il était loin d’être un isolé. Il pouvait maintenant retourner sans crainte rue Napoléon : l’hospitalité qu’on lui avait offerte n’avait plus rien de dangereux et ne devait plus torturer le cœur de son