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FLEUR LOINTAINE

idée, brave jeune homme ! Il y va de votre complet rétablissement.

« Je découvre dans vos poumons, selon les termes de notre jargon scientifique, des râles ronflants et sibilants à l’avant et à l’arrière, comme dans une bronchite aiguë. Mais les cavernes sont en voie de cicatrisation très avancée. Mangez bien, dormez bien, ne faites pas d’effort musculaire ou cérébral exagéré ; menez pour un temps la vie végétative, et la bonne nature se chargera du reste ; nous, médecins, nous sommes là pour aider cette mère bienfaisante ; les médicaments qui guérissent le mieux sont ceux qui ne sortent pas des officines chimiques, mais qui sont éternellement fabriqués par le Médecin de là-haut !

« Quand vous aurez subi l’influence d’un premier hiver, nous vous examinerons à nouveau, mes collègues et moi : vous passerez par les rayons X et nous vous donnerons des assurances qui remplaceront les probabilités. En tout cas, je vous le répète : confiance, espoir ! Du moral, comme à la guerre ! Tenez, et les microbes déguerpiront pour toujours ! »

Ainsi s’exprima le Docteur David. Paul Demers le remercia avec effusion et sortit, ivre de joie. Toutes les idées noires de la veille s’envolaient une à une ; ces paroles rassurantes soulageaient son esprit d’un poids qui l’accablait depuis trop longtemps. Il comprit que la fièvre violente qui l’avait torturé la veille et lui avait donné le vertige, au point de lui faire broyer un cœur qu’il aimait, n’était que la résultante de longs mois passés dans la mélancolie : son âme emprisonnée avait brisé subitement toutes les barrières, y compris les liens les plus forts et les plus doux. Maintenant, le calme revenait ; l’obsession d’un sombre avenir n’était plus qu’un mauvais rêve ; il ne portait plus le joug odieux d’un condamné à mort ; il s’agissait de reprendre au plus vite l’autre joug adorable qu’il avait secoué dans un instant de délire : le joug de la vie qui est si léger quand on le porte à deux, par les sentiers fleuris des immortelles tendresses.

Le pieux jeune homme, revenant au centre de Montréal, se rendit aussitôt à la chapelle de Notre-Dame de Lourdes, près de l’église St-Jacques ; c’est dans ce sanctuaire qu’il voulait faire brûler le cierge de reconnaissance dont lui avait parlé le docteur. Il se mit à genoux, et son âme resta longtemps abîmée devant l’image de la Vierge ; un hymne d’action de grâces s’élevait des profondeurs de tout son être, hymne infiniment plus doux que les harmonies troublantes d’hier. Il ne priait pas seul : Yvonne était venue souvent s’agenouiller dans cet oratoire ; il tenait ce secret de sa propre bouche. Son ombre était là, il la sentait tout près de lui, et cette pensée ne le quittait plus !…

 

Que fait-elle donc là-haut, à Ste-Agathe depuis le départ précipité du grand ami ? Comment aura-t-elle supporté ce coup terrible, lui venant d’un être si cher ?…

II


Midi va bientôt sonner. Yvonne n’a pas la force de réaction d’une âme masculine. Elle se rend compte vaguement qu’elle a eu des torts, qu’elle a pris au tragique un fait qui s’explique peut-être par des causes dont elle n’a pu se rendre compte. Le cœur si noble de Paul était-il capable d’une volte-face qui serait, pour elle et sa famille, la pire des injures ?

La jeune fille s’est levée tard, après une nuit agitée ; elle se retrouve dans ce salon encore en désordre. Tout-à-coup, elle entend la sonnerie du téléphone et s’y précipite.

« Allô ! allô ! maison Desautels ? C’est un appel de longue distance ; on vous parle… »

— « Allô, fait une voix masculine bien connue ; c’est Paul Demers qui est à l’appareil.

— C’est bien vous, Monsieur Demers ?

— Oui Mademoiselle… »

Un silence accompagne ces premières paroles : le récepteur tremble entre les mains de la jeune fille. Mais elle craint qu’on lui coupe la communication.

« Allô ! Comment allez-vous ce matin, Monsieur Demers ?

— Beaucoup mieux qu’hier au soir. Mademoiselle Yvonne, oui, beaucoup mieux. Mais vous… j’ai hâte de savoir… Êtes-vous encore fatiguée ?

— Oh ! oui, beaucoup. Je vais mal, très mal.

— Écoutez, Mademoiselle Yvonne ! Je sors du sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes. Je n’y était pas seul de corps… Vous y étiez par toute votre âme, j’ai prié avec