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FLEUR LOINTAINE

nir. Sans la vanter, c’est la fleur rare, aussi éclatante que modeste. »

— « Mais, fit remarquer Robert, varions un peu notre entretien. Tu m’as dit en arrivant, mon cher Paul, que ton voyage t’avait procuré quelque rencontre agréable : raconte-nous tout cela. »

— « J’ai fait connaissance, répondit Paul Demers, avec un confrère de mes anciens professeurs de Versailles, qui est missionnaire au Labrador. Cet homme de Dieu semblait placé sur mon chemin pour interpréter et encourager ma vocation nouvelle. Avec une rare compréhension, il a semblé entrevoir mon avenir, et m’a fait promettre de rester en correspondance avec lui : ce saint solitaire, voué aux soins ingrats de quelques ouailles, doit être en continuelle méditation ; loin des choses du monde, il les comprend mieux que personne. Il a quelque espoir que mes randonnées pourraient un jour me conduire là-bas. »

— « Ce n’est pas irréalisable, fit Robert. Nos approvisionneurs en fourrures s’y rendent presque chaque année et reviennent avec une riche cargaison. On y rencontre quelques forêts, au-delà des côtes abruptes que tu as aperçues. Tu y trouverais peut-être des arbres dignes d’attention, puisque les hautes futaies feront partie de ton programme d’étude. Mais tu rencontreras ailleurs des surfaces boisées autrement intéressantes.

« Maintenant, dit Robert en tirant sa montre, j’ai un courrier à faire partir. Tu peux, à la convenance, faire un tour au Parc Lafontaine ou prendre du repos dans tes appartements. Tu es chez toi. »

Paul Demers sortit pour se promener dans les allées bordées de verdure. Il alla jusqu’au lac, puis revint à son bureau où ses malles venaient d’arriver. Il en tira divers bibelots qu’il devait distribuer à sa nouvelle famille pendant le déjeûner de midi.

Le repas fut des plus gais, sans autre cérémonial, ou peu s’en faut, qu’au déjeuner du matin. Paul Demers offrit aux jeunes filles des broches artistiques achetées à Paris : d’autres cadeaux furent remis à chaque membre de la famille ; le jeune homme avait su choisir ce qui convenait aux uns et aux autres. En retour, Monsieur Desautels commanda une des meilleures bouteilles de Médoc en réserve à la cave : le jeune Parisien apprécia fort ce nectar de la vieille patrie.

XI


En se levant de table, Robert annonce qu’il va amener l’auto ; les deux amis partent ensemble pour se rendre aux principaux points de la ville : « Je vais d’abord te donner une idée de l’Ouest, dit Robert ; c’est la partie anglaise de la cité : Montréal est moins uniformément français que Québec. » Paul Demers voit rapidement les grands magasins, qui lui rappellent ceux de Paris, les hôtels selects comme le Ritz-Carlton ; puis l’université McGill, la cathédrale protestante, l’hôpital Victoria. « Même dans ce quartier, fait remarquer Robert, Messieurs les English n’ont pas tout accaparé. » Et ils passent devant le collège de Montréal et le Grand Séminaire, dirigés par les prêtres de St-Sulpice ; de là, ils se rendent à la Basilique entrevue le matin ; ils y entrent pour quelques instants, et Paul Demers reconnaît les lignes de St-Pierre de Rome dont cet édifice est la réduction. Après avoir salué la grande image de Monseigneur Bourget, ils se dirigent vers la Place d’Armes où se dresse la fière statue de Maisonneuve ; l’église Notre-Dame paraît au visiteur majestueuse et recueillie. En suivant plus haut la rue St-Denis, il est heureux d’apprendre que le quartier de l’université catholique de Montréal est dénommé « quartier latin ». Cela lui rappelle d’heureux souvenirs de jeunesse.

À chaque rue apparaissent de superbes églises catholiques que les passants saluent avec respect, selon l’usage canadien : « Tu vas voir les affluences aux offices dimanche prochain, dit Robert. Ici, tu trouves un peuple chez qui l’indifférence religieuse n’est guère de mise, malgré les infiltrations venues du dehors. »

L’auto file toujours : le conducteur s’excuse de cette course tambour-battant. « Ce n’est qu’un coup d’œil superficiel jeté sur la ville, répète-t-il. Tu auras le temps de visiter tout cela en détail. Nous allons nous arrêter à notre magasin de fourrures. » Au bout de quelques minutes, après avoir dépassé les magasins canadiens-français Dupuis Frères, la limousine fait halte devant la maison commerciale Desautels. Robert présente son frère Henri, fait quelques courses dans les environs, règle di-