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LES DÉSIRS

des mots qui portent. Il ne lui a pas encore adressé la parole, mais quand il croit qu’elle ne le voit pas, il la mange des yeux. Elle se sent inquiète, attirée et effrayée à la fois. Dès qu’elle entre, il se renfrogne dans un mutisme bourru.

Elle devine qu’il est malheureux. « Ma petite Lucienne, prends garde à toi », se dit-elle en apportant deux bouteilles de blanc. Auguste lui entoure la taille de ses deux bras ; ce geste devant l’étranger lui paraît indécent, elle rougit et, tout en riant pour ne pas blesser la vanité du jeune homme, elle se dégage.

— Lequel de nous préfères-tu, Lucienne ? dit Louis, que plusieurs apéritifs ont rendu gai.

— Tous les quatre.

En disant ces mots, elle a regardé Pierre (elle a entendu Auguste l’interpeler par ce nom) et elle a l’impression qu’elle s’est trahie, qu’au lieu de « tous les quatre », ses lèvres ont prononcé « Pierre ».

Comme s’il avait entendu son nom, Pierre a levé les yeux et son regard plonge comme une main au fond d’elle. Elle sourit doucement, mais sa joue rougit davantage.

— Puis-je apporter la salade ? dit-elle pour reprendre contenance.