Page:Charbonneau - Les Désirs et les jours, 1948.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
ET LES JOURS

— Qui est-ce qui l’a mis là ?

— Tu l’as maintenant. T’as pas besoin d’avoir le pave.

Le pave, dans leur argot, c’était faire une tête, garder rancune ou simplement manifester de la mauvaise humeur.

En entrant, les hommes se débarrassent de leurs vareuses. Chacun puise son eau dans un baril, se débarbouille et laisse la place à son voisin. La cloche sonne toujours trop tôt. Les derniers se décrottent à la hâte pour ne pas être mal notés.

Par temps calme, on se groupe à trois ou quatre sur le pont et on raconte des aventures. Dans l’ombre qui envahit le bateau, ces histoires prennent des proportions d’épopée.

Arnim est le premier homme par qui Pierre entend parler des filles. C’est un grand et solide gaillard au teint rouge, au crâne poli comme une bille de billard. Par économie, il rase toutes les semaines le peu de cheveux qui lui poussent autour des oreilles et au bas de la nuque. Grand amateur de femmes et abonné des petites maisons, il parle de ses aventures au moment de toucher un port.

À la veille d’une escale, le quartier-maître