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ET LES JOURS

le premier, rompre le silence qu’il juge hostile. Il regarde ses compagnons.

Tous ces visages ne dépareraient pas un dortoir de pénitencier. Et ce sont les hommes avec qui il doit vivre pendant six mois ! Près de la porte, le premier lit est occupé par une sorte de nègre, à la bouche dégarnie où pointent trois ou quatre chicots pourris sur des gencives violettes ; son compagnon est un géant à la tête et au cou de taureau, à la poitrine carrée et velue ; vient ensuite un grand vieillard, puis un homuncule au visage replet et au ventre rebondi.

Les ablutions à l’eau froide lui rendent le goût de la vie. L’air est vif. Son apprentissage de la vie de marin commence. Pierre est adroit et fort ; ce qu’on lui apprend, il ne l’oublie pas.

Les premiers qui lui adressent la parole, ce sont Mirion, le charpentier, et le cuisinier Lancinet, un idiot. À tout ce qu’on lui dit, Lancinet répond : « Oui, oui », et il fait mine de s’affairer. On le taquine sans cesse et il n’a que son rire hébété pour se défendre. Mirion a pitié de lui quand les choses vont trop loin, mais d’ordinaire, il se contente de rire des tours qu’on lui joue. Comme Lancinet a l’habitude d’être sauvé par Mirion, quand il ne comprend pas et