Page:Charbonneau - Les Désirs et les jours, 1948.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
ET LES JOURS

une importance relative et qui bientôt en prend une absolue au point de changer le cours de notre vie.

Il prend une épingle, qui traîne sur la table de chevet et, se penchant au-dessus de la forme inerte, de la main droite, il plante l’épingle dans la lèvre d’Eugénie, dont les yeux se remplissent d’horreur et de pitié.

Crispé, il regarde l’épingle et la lèvre où le sang ne paraît pas. Il se rappelle une autre scène, de son enfance, la chauve-souris morte, qui, elle non plus, ne saignait pas.

Eugénie le regarde, les yeux remplis de larmes ; elle n’éprouve plus devant lui aucune terreur. Elle sait ce dont il est capable et ce qu’il pense. Elle a pour lui une immense pitié. Elle veut tendre les bras vers lui et ses lèvres essaient de former le mot « pardon ». Et tout à coup, Pierre éclate en sanglots et se jette à genoux au pied du lit. Il a pardonné, mais il ne peut pas se résoudre à aimer. Au fond, il n’a fait que cela depuis qu’il la poursuit de sa haine. Chaque fois qu’il la frappait, c’est son propre cœur qu’il atteignait.

Eugénie est morte, la chair a cédé à la hauteur du poumon et un liquide visqueux s’épand dans