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LES DÉSIRS

pirait sous de fausses représentations, elle ne le volait pas moins à son fils adoptif qu’à la vraie mère. C’est cela que Pierre sent, même s’il est incapable de l’analyser.

Il lui a été difficile de haïr sa mère adoptive, mais peu à peu, il y est parvenu. Il ne vit plus que pour la faire souffrir. Il s’applique à la prendre en défaut. Il lui semble que jusqu’à la révélation de sa naissance, il ne la voyait pas. Elle est accorte ; elle a le visage en boule, les yeux petits et luisants, le teint couperosé, les cheveux plats et rares. Elle se vêt de couleurs trop vives. Quand elle est agitée, elle roule sur elle-même l’air tragiquement drôle, passant indistinctement du rire aux larmes. Il se rappelle sa hâte de se faire enlever les dents parce qu’elle trouvait les prothèses plus belles. Elle a la manie répugnante d’embrasser les cousines pauvres sur les lèvres, même quand leur front couvert de pustules découragerait le serrement de mains. Elle agit dans sa charité comme si les maladies ne se transmettaient pas. Elle préfère exposer les siens à la contagion que de causer, par son recul, de la peine à une malheureuse.

Pierre ne peut plus rester seul avec elle pen-