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III

Vendredi, le vendredi qui précède l’élection. Dans un restaurant grec, juché sur un tabouret élevé, les coudes sur le zinc, un client déjeune de deux rôties servies avec de la confiture aux oranges et un café noir. Il s’est installé sur le premier tabouret, près de la rue et il guette. La rue est déserte. La chaussée mouillée reflète une lumière grise.

L’inconnu paraît contrarié qu’il ne se passe rien. Son parapluie, accroché au zinc se balance dans un équilibre précaire. L’homme est un petit maigre au teint jaune. Il a l’air d’un maître d’école échappé d’un roman de Dickens. Un de ces êtres qui ne semblent vivre que pour le malheur des autres. On ne voit pas son front à cause du chapeau melon qu’il n’a pas enlevé. Les yeux sont petits, grisâtres, encadrés dans des petits verres à monture d’or.

Cyrille Lecerf voudrait pouvoir se rendre invisible, traverser la rue, pénétrer dans la maison d’en face. Dans quelques instants, les po-

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