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que la poésie fut une nourriture commune. Je ne voulais donner qu’une joie rare, ténue, mesurée, artificielle. J’avais fini par abolir le monde extérieur. Mes poèmes avaient si peu de valeur d’échange qu’ils n’avaient de sens que pour moi et pour ceux qui pouvaient arriver à se faire une âme semblable à la mienne.

Avec mes amis, je faisais assaut d’abstractions. Nous méprisions les poèmes de chair et de sang. Tout était pour nous question de forme. Nous touchions tous les genres. Peu importait ce que nous écrivions, pourvu que ce fût difficile à composer et encore plus difficile à comprendre.

Nous rejetions en bloc toute l’histoire littéraire, ne voyant de perfection que dans les plus avancés des poètes modernes. Nous étant limités à la lecture des poètes qui ont raréfié la vie, symbolisé la nature, traité l’homme avec des procédés de laboratoire pour s’attacher à l’étrangeté des rapports, nous nous mourions spirituellement d’inanition.

Nous croyions qu’on peut être exclusivement poète, que tout dans l’œuvre d’art repose sur