Page:Charbonneau - Fontile, 1945.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.

me tenaient dans un brouillard dont je ne sortais qu’en compagnie de Lescaut.

Je devenais insouciant par la conscience que j’avais de l’inutilité de prendre des notes quand je laissais échapper tant de beauté, tant d’occasions uniques de me perfectionner. La vie spirituelle ne se laisse pas saisir. Une joie, au moment où on la ressent, c’est une prise de possession du monde ; notée, ce n’est plus qu’une phrase comme une autre. La vue d’un paysage, la lecture d’un poème, la visite d’une exposition, par le retour qu’elles me forçaient de faire sur mon impuissance à créer me jetaient dans un abattement incompréhensible. Ainsi, conscient de gêner mes camarades, qui ne s’expliquaient pas ces accès de mélancolie, je mettais tout mon empressement à les fuir. Je ne faisais d’exception que pour Georges. Nous étions d’une piété un peu exaltée, assistant à la messe tous les matins, et nous éprouvions à parler de théologie une joie incomparable.