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duit Jeanne et les enfants à la campagne et pour la première fois depuis un an, il se retrouvait seul dans la maison d’hiver, seul avec son mal.

À cette heure, quand ses enfants étaient là, c’était le tohu-bohu des courses dans les escaliers, des appels d’une chambre à l’autre. Jamais il ne connaissait ce calme que trouait parfois le passage d’une voiture.

Il écoutait mourir en lui les remous d’une inquiétude qui courait au fond de son être, chaque année, au moment de conduire les siens à la campagne. Il était pris d’inquiétude. Non ! Le mot débordait sa pensée. Il s’agissait plutôt de ce sentiment de trouble qui vous met en alerte un jour de départ. Certes, il ne comptait plus ses allées et venues dans le pays et, même à l’étranger, où l’appelaient des conférences, des congrès. Chaque fois, au moment du départ, pourtant souhaité et préparé avec enthousiasme, il éprouvait ce sentiment, — sans doute hérité d’ancêtres sédentaires — de trouble fécond. Cela ne l’empêchait jamais de partir, c’était une sorte de prise de conscience, d’évaluation secrète du risque.

Jeanne réagissait tout différemment. Elle s’inquiétait de quitter la maison sans la fermer complètement. Elle tournait en rond,