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Dans une ronde vertigineuse, des sensations, violemment brassées, voltigeaient, tournoyaient, puis s’abattaient au fond de sa conscience. Depuis son enfance, Georges décapait les mots, déclenchait en eux des mutations, se jouait à les coller aux choses ou à les priver de tout contenu. Et maintenant, il se sentait la proie de mots. Il pensa : « J’agonise ! » mais il ne le croyait pas. Les mots, vidés de leur pulpe, n’avaient plus de signification. Il essaya de faire le silence en lui, de rassembler ses esprits. Si perspicace quand il s’agissait des personnages de ses romans, des gens qu’il croisait dans la rue, il perdait pied dès que ses propres émotions étaient en jeu. Il devait plus tard se dire que ces cauchemars avaient un côté prémonitoire dont il n’avait pas su tenir compte. Un autre serait remonté aux sources de cette impulsion irraisonnée. Dépouillé de sa gangue, le problème eût-il pu subsister ?

Mais pourquoi eût-il cherché à ses songes une explication autre que l’ébranlement de sa sensibilité à la nouvelle de la maladie de son vieil ami Lucien Guilloux. Ce dernier, à qui il avait adressé les épreuves de son récent ouvrage, lui demandait en substance : « Qu’as-tu fait de ta vie ? » « On dirait que tu as man-