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À la campagne, père et fils ne se quittaient pas. Une passion commune pour la pêche, le goût des grandes randonnées en forêt les rapprochaient. Ils vivaient un peu à la façon des braconniers — bien qu’ils respectassent toutes les lois — l’œil vif, l’oreille à l’affût, prêts à disparaître dans le fourré à la première alerte. Ils devaient brouiller leurs pistes pour ne pas être suivis.

Jean se sentait à l’aise dans le bois. Il y était chez lui. Rien ne l’arrêtait, ni les épais fourrés, ni les terres spongieuses, rien. Il s’y débrouillait mieux que son père ne l’avait fait à son âge. Pour Georges, aux approches de la cinquantaine, son âge s’abolissait dès qu’il mettait le pied hors de la route. Les pires chaleurs ne l’empêchaient pas de courir la forêt. Au contraire, quand il marchait, la chaleur perdait prise sur lui. Elle entrait sans doute dans sa fatigue, mais elle n’avait pas pour effet de ralentir son élan. Les deux hommes s’aventuraient en pleine brousse, dans des sous-bois où personne n’était entré depuis l’époque des Indiens. Ils jetaient la ligne dans des bouches d’ombre atteintes au prix de mille contorsions et périls. À l’approche d’un cours d’eau, ils commençaient à monter leur ligne et ne voyaient plus rien d’autre. Jeanne