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JEAN TALON, INTENDANT

Quelques années plus tard, M. de Denonville répondait comme suit à ceux qui alléguaient le danger de jeter les sauvages entre les bras des Hollandais et des Anglais si on leur refusait de l’eau-de-vie : « Ceux qui disent que si on ne donne de l’eau-de-vie à ces sauvages, ils iront aux Anglais en chercher, ne disent pas vrai, car il est certain qu’ils ne se soucient pas de boire tant qu’ils ne voient point l’eau-de-vie, et que les plus raisonnables voudraient qu’il n’y en eut jamais eu, car ils se ruinent en donnant leurs pelleteries et leurs hardes pour boire, et se brûlent les entrailles ». D’ailleurs les autorités de la Nouvelle-Angleterre, à un moment donné proposèrent elles-mêmes aux Français d’interdire la vente des boissons enivrantes aux sauvages, s’engageant à en faire autant de leur côté. Et elles adoptèrent une ordonnance prohibant ce commerce.

En dehors de l’eau-de-vie, il y avait beaucoup d’autres articles dont les sauvages avaient besoin et qu’ils devaient venir chercher dans la colonie, en échange de leurs fourrures. D’ailleurs, à supposer que la prohibition de ce trafic eût fait décroître le commerce des pelleteries, le mal eût-il été aussi grand qu’on le représentait ? Moins d’habitants eussent été détournés de la culture des terres. Le fléau des coureurs des bois n’aurait point décimé la colonie. La fleur de notre jeunesse ne fût pas allée se jeter tous les ans dans le gouffre de la vie errante. Une immense déperdition de vitalité nationale eût été évitée. Le défrichement du sol aurait fait plus de progrès, et l’agriculture canadienne aurait pris un plus rapide essor. Même au point de vue matériel on peut donc soutenir que les adversaires de la