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JEAN TALON, INTENDANT

je ne les retiens pas… je n’en ai pas jugé vingt en matière civile ou criminelle depuis que je suis en Canada, ayant toujours pris le parti d’accommoder autant que je l’ai pu. Ce qui me fait parler de cet arrêt, c’est que souvent, pour 20 ou 30 francs de principal, on lie procès devant le premier juge, qui divertit les parties de la culture de leurs terres, et que souvent après, par un appel, le procès se porte au conseil où l’on veut avoir des affaires[1]. »

Cette fois, la réponse de Colbert ne fut pas favorable au désir de Talon. Le 4 juin 1672, il refusa de lui accorder cette prérogative, contraire, disait-il, « à l’ordre de la justice qui veut que, sans s’adresser aux juges supérieurs, les premiers juges connaissent de toute la matière de leur compétence et que l’appel de leurs jugements aille au Conseil Souverain, joint que les sujets du roi de ce pays-là seraient trop grevés, étant éloignés de Québec comme ils sont, d’y venir pour savoir à quels juges il faut s’adresser[2]. » Ainsi donc, si le gouverneur n’était pas justifiable de voir dans l’arrêt du Conseil un mépris de son autorité, son protêt n’était pas sans fondement au point de vue du bien public. D’ailleurs, M. de Courcelle, nous l’avons déjà dit, était ombrageux. Depuis que les expéditions de guerre avaient pris fin, il se sentait un peu éclipsé par l’administrateur actif et entreprenant dont les initiatives bienfaisantes commandaient l’admiration publique. Le soldat souffrait de la prééminence accordée au magistrat, et se résignait

  1. Mémoire des expéditions et autres choses que Talon estime être nécessaires ou utiles, 1671. — Arch. féd. Canada, corr. gén., vol. III.
  2. Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert, II, p. 542.