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JEAN TALON, INTENDANT

d’abstinence sous un certain capitaine qui peut être appelé le grand maître du jeûne, et aurait pu servir de père-maître en ce point chez les Pères du désert. » La rencontre d’un bois de châtaigniers chargés de fruits vint heureusement suppléer à l’absence du pain.

Enfin, après plusieurs jours de cette marche pénible, le 15 octobre, fête de sainte Thérèse, on arriva à peu de distance du canton agnier. Le soir tombait, la pluie et le vent faisaient rage. Cependant, impatient de toucher au but, M. de Tracy, fit marcher les troupes toute la nuit en dépit de la fureur des éléments. Le 16 octobre, l’armée débouchait en vue de la première bourgade ennemie.

On avait espéré surprendre les Iroquois ; mais leurs éclaireurs leur avaient donné l’éveil, et deux jours auparavant ils avaient envoyé dans un autre bourg leurs enfants et leurs femmes, afin de n’être point embarrassés dans le combat. Tracy, comptant sur la valeur de ses troupes, ordonna immédiatement l’assaut. Au bruit retentissant des tambours, soldats, canadiens et sauvages, animés d’une égale ardeur, se précipitèrent à l’attaque. Le spectacle de cette armée lancée au pas de charge, qui leur parut trois fois plus nombreuse qu’elle ne l’était réellement, le roulement des tambours que, dans leur ignorance, ils prenaient pour la voix des démons, frappa les Iroquois d’une terreur panique, et ils s’enfuirent. La première bourgade était prise sans coup férir. Aussitôt M. de Tracy ordonna de marcher à la seconde, que les Agniers, toujours en proie à la même frayeur, ne défendirent pas davantage. Il en fut de même d’une troisième, qui fut emportée sans coûter une goutte de sang. On croyait que c’était la dernière,