Page:Chapais - Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France (1665-1672), 1904.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
DE LA NOUVELLE-FRANCE

fût soumise d’abord à M. de Tracy, qui renvoya la décision à l’intendant. Celui-ci recourut alors à un moyen très habile. Au lieu de répondre directement à la pièce présentée par les Jésuites, il leur proposa un cas dont il leur demanda la solution par écrit. Ce cas était fort épineux. Talon se plaçait sur le terrain de l’intérêt public et invoquait la raison d’État. Il demandait si « un sujet du roi ayant reçu commandement de Sa Majesté de donner toute son application à faire valoir et avancer son service, dans l’établissement d’un pays que Sa Majesté veut procurer, peut en conscience préférer un petit avantage à un beaucoup plus considérable tant au service du roi qu’au bien public et de tout un pays, et par la considération d’un particulier n’embrasser pas le général, surtout en chose notable. » Le bien public, et surtout le service du roi : c’étaient là des mots pleins d’un puissant prestige à cette époque où l’absolutisme royal battait son plein, et où l’État c’était le roi. Dans les circonstances, le cas proposé équivalait au plus formidable factum. Les pauvres Jésuites de Québec n’entendaient pas entamer une lutte avec la majesté de la couronne. Ils avaient essayé de sauvegarder ce qu’ils considéraient leur droit de propriété, mais n’auraient voulu pour rien au monde contester en principe général la thèse énoncée par l’intendant. La difficulté gisait dans l’application actuelle de ce principe et de cette thèse. Les Pères se trouvaient dans une situation très délicate. Talon semblait fermement résolu à passer outre ; le ton très haut qu’il avait pris, la significative dextérité de sa manœuvre, l’indiquaient clairement. Les Jésuites résolurent de ne pas pousser plus loin cette escrime. Ils s’excusèrent de ne point résoudre le