Page:Chapais - Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France (1665-1672), 1904.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
DE LA NOUVELLE-FRANCE

longue et pénible navigation lui ont causées, et que je crois que deux climats fort opposés dans lesquels il vit et a vécu pourront bien augmenter. Et je crains d’autant plus sa perte qu’au milieu des atteintes qu’il reçoit de son mal il ne relâche rien de son travail pour ne rien dérober à son zèle, et que, surmontant son âge et son infirmité il agit tout de même que s’il jouissait d’une santé parfaite et qu’il n’eût que trente ans. Je vous assure, Monsieur, qu’il me surprend, et dussé-je blesser le dessein qu’il forme de retourner en France dans l’été prochain, je ne puis m’empêcher de vous dire qu’ayant le génie qu’il a, singulièrement propre à former un pays neuf ou le réformer quand il est mal policé, et la chaleur avec laquelle il embrasse tout ce qui peut donner quelque gloire au roi ou quelqu’avantage à ses États, je doute fort que Sa Majesté lui accorde le congé que je sais qu’il désire, si elle fait réflexion sur l’utilité de son séjour en ce pays et le besoin que nous avons encore de sa présence pour soutenir son grand ouvrage commencé. Si cependant Sa Majesté inclinait à le lui accorder, pour ne pas lui donner le dégoût d’un refus absolu, je crois qu’elle l’engagerait honnêtement à continuer son application et ses soins, si, lui laissant la liberté d’un retour elle lui ordonnait de s’en prévaloir qu’après avoir bien reconnu que sa retraite n’apportera aucun préjudice à son service dans toute l’étendue de ce pays. Si la frégate qui portait les provisions de M. de Tracy est comme on le croit perdue, je le plains fort, en vérité ; il a déjà vendu une partie des denrées qu’il avait pour s’acheter le nécessaire, et je crois que quelque résolution qu’il ait faite de ne rien emprunter d’autrui, il sera obligé pour soutenir sa dépense de rece-