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les plus proches sont presque détruites. Un mur de vingt-cinq pieds, qui forme le derrière des écuries du citoyen Lebrun, troisième Consul, a été renversé, et les débris de ce mur ont été jetés à vingt pieds dans l’intérieur — Cet événement a coûté la vie à plusieurs personnes. Il s’en trouve aussi de grièvement blessées. Les vitres de tout le quartier sont presque partout brisées, même celles de toute la façade des Tuileries qui donne sur la cour. Parmi les blessés se trouve le citoyen Trepsa, architecte, âgé de soixante ans. — La machine infernale consiste en une espèce de baril que l’on croit être rempli de balles, de marrons et de poudre. Chevalier dit qu’il y a six à sept livres de cette dernière matière. À ce baril tient un canon de fusil solidement fixé, garni de sa batterie, mais ayant la crosse coupée.


Nous complèterons ce récit en y ajoutant quelques circonstances assez curieuses, et le dénouement de ce drame odieux.

La charrette devait être placée, à l’approche du Premier Consul, de manière à obstruer le passage, et sa voiture en la heurtant devait, par le choc, produire elle-même l’explosion ; heureusement, le cocher sut éviter cet obstacle avec adresse, et sauva ainsi sans le soupçonner une grande destinée.

Le bruit des roues de la voiture ne permit pas au Premier Consul, ni à ceux qui s’y trouvaient avec lui, de reconnaître bien distinctement l’effet de l’explosion ; ce fut seulement après son arrivée à l’Opéra qu’il fut mis au fait. Joséphine, alarmée, le supplia de retourner sur le champ aux Tuileries ; il s’y refusa, et ne voulut partir qu’après avoir entendu l’Oratorio jusqu’à la fin, et sans que sa figure révélât aucune émotion.

Ce sang-froid ne se maintint pas à l’aspect de son ministre de la police, Fouché, qui l’attendait au Palais. — « Ce sont vos Jacobins, lui cria-t-il furieux, qui ont fait ce coup-là ! » — « Je les en crois très capables, répondit tranquillement Fouché, et je vais donner des ordres pour leur arrestation. Toutefois, j’en soupçonne encore d’autres, et j’espère qu’ils ne m’échapperont pas non plus. »

On commença en effet par faire une rafle des Jacobins les plus connus, au nombre de cent trente, et, quoique suivant la prévision de Fouché la découverte des vrais coupables eût lieu quelque temps après, les cent trente détenus n’en furent pas moins déportés par un bon arrêt bien juste, comme dit Figaro, de ce Sénat qui préludait ainsi à ses serviles complaisances.

Avec une plus équitable sévérité, le Tribunal criminel de la Seine condamna à la peine de mort les véritables auteurs du crime, qui appartenaient au parti royaliste, et dont les deux plus connus étaient Carbon et Saint-Régent.

Un bruit, alors très répandu, attribua la découverte des coupables à un dîner de corps, à un louis par tête, donné par les cochers de Paris au cocher du Consul, sauvé par lui, comme nous l’avons dit plus haut. Dans ce repas, dit-on, la police, qui est partout, recueillit des détails qui la mirent sur la voie. Ce ne serait pas la première fois qu’elle n’aurait dû qu’au hasard d’importantes découvertes.

Les ravages produits par l’explosion se trouvèrent plus grands qu’on ne l’avait cru dès les premiers moments. Huit personnes furent tuées, entre autres le conducteur de la charrette ; il y en eut vingt-huit de blessées, dont dix très grièvement. Quarante-six maisons furent fortement ébranlées et endommagées : ce qui produisit la suppression de l’étroite et incommode rue Saint-Nicaise et le dégagement de la belle place du Carrousel.

La Complainte inspirée par l’attentat de la Machine Infernale eut une grande popularité, due à la fois au nom du héros de l’aventure et à l’importance de l’événement. Sa naïveté originale la rend encore fort curieuse aujourd’hui : car on peut dire de cette pièce ce que Montaigne disait de son ouvrage : « Ceci est une œuvre de bonne foi. » Le modeste auteur, qui s’était caché sous une simple initiale D***, chanté pendant plus de six mois par les ménestrels de nos rues, résista à l’ivresse du succès, et ne livra point son nom à l’admiration populaire : bel exemple pour nos auteurs d’un jour !