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l’emprise de sa danse comme celle d’une idée fixe, le spectateur au théâtre, mais mieux encore, l’auditeur au concert, où rien ne le dispute à cette possession. Cet ectoplasme, cette présence fantomatique n’ont leurs pareils, en musique, que dans certaines mélodies de Schubert, telles que le Sosie, la Ville ou le Joueur de vielle[1]. Voilà l’élément que, loin de la scène, retrouve le Boléro et qui, malgré son origine occasionnelle (qui entravait l’effet symphonique de la Péri) et sa destination primitive, en fait un « poème symphonique » dans le plein sens du terme, étant d’ailleurs la seule page de Ravel où il y ait de l’âme.

Par une action en retour, la scène a donc pu, en quelques occasions isolées, rouvrir au poème symphonique une source d’invention, sinon d’imagination et d’inspiration, que la désuétude du lyrisme avait d’autre part tarie peu à peu.

Une forme plus récente encore du spectacle exercerat-elle à son tour cette action ? Une des premières images animées qui, vers 1894, attirèrent la curiosité du public sur les débuts du cinématographe fut l’arrivée d’un train dans une gare de campagne[2]. Ce souvenir me revient toujours en écoutant le Pacific 231 où Arthur Honegger traduit par une musique sommaire, mais puissante, comme le veut le sujet, la massive propulsion d’une « compound » géante. Tableau, certes, et non poème, car le sentiment, l’idée, le symbole y font volontairement

  1. Cette assimilation, toute lointaine qu’elle soit, n’est pas de ma part un mince éloge. On sent aussi, je l’ai noté, une présence invisible de cette nature dans les Steppes de Borodine.
  2. Me sera-t-il permis, puisque je n’y suis pas en cause, d’évoquer ici un souvenir de collège ? Préparant la licence de philosophie, j’étais alors au lycée Henri-IV l’élève de Bergson. Ces premières projections mouvantes sur l’écran l’intéressaient, le préoccupaient et, si j’ose dire, l’intriguaient au plus haut degré. Il y faisait de fréquentes allusions et y revenait avec insistance, y voyant une sorte de synthèse ébauchée par la vie (celle de la rétine) entre ce « continu » et ce « discontinu » dont les Données immédiates de la conscience et Matière et Mémoire (qu’il devait publier deux ans plus tard) cherchent à résoudre l’opposition et les conflits.