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brodée sur une de ces légendes asiatiques qui passent en voisines dans l’art russe, destinée à l’interprétation chorégraphique d’une danseuse russe, la Péri, pour toutes ces raisons, subit l’influence un peu lourde des compositeurs russes, Balakirev et Rimsky-Korsakov. C’est, en gros, une sicilienne russe. D’une minutieuse et inépuisable somptuosité sonore, elle ne retrouve pas, peut-être en raison du sujet, la verve et l’éclat de l’Apprenti sorcier. Ses développements, avec des thèmes sinueux et balancés, semblent moins soucieux de dégager l’ « idée » du poème (le spectacle est là pour cela) que de faire valoir en voluptueuses spirales les reliefs alternes-externes d’une danseuse que l’ampleur de ses formes limitait, en fait de danses, aux « poses plastiques » : tous les ballets d’opéra au xixe siècle comportaient un adage affecté à ce genre d’exhibition, témoin le solo de violoncelle du ballet de Faust[1] et le milieu de la bacchanale de Samson et Dalila. Sans doute, à la conclusion, le motif principal de la danse séduisante se change, grâce à une variation fort congrue, en un thème grave, sévère, annonciateur de la mort. Ce n’en est pas assez pour que la Péri serve à deux fins et, privée du spectacle, devienne, de « poème dansé », « poème symphonique ». Elle garde, avec un caractère trop occasionnel, une charge trop pesante d’ornementation pour une allégorie trop obscure et trop mince. Il lui reste — et c’est beaucoup — sa dense richesse.

La même expérience s’est montrée beaucoup plus favorable à deux œuvres de Maurice Ravel, la Valse et surtout le Boléro, écrites toutes deux pour accompagner une pantomime de Mme Ida Rubinstein, que piquait l’ambition de devenir la Sarah Bernhardt des entrechats. Pas plus que la Valse n’est « une » valse, « une

  1. Sous cet adage qui veut, qui montre jusqu’à l’évidence une danseuse faisant admirer la lente souplesse de son buste et de l’envers, on en voit une aujourd’hui à l’Opéra, qui égrène des pointes rapides et menues. C’est là un de ces contresens chorégraphiques et musicaux, dont l’absurdité choquerait un enfant de dix ans, mais auxquels l’Académie nationale de musique et de danse est devenue aveugle et sourde, sous l’égide de saint Guy.