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printemps, d’Igor Stravinsky. Il n’y a rien non plus qui constitue un véritable « poème symphonique » dans les évolutions de la sorcière Baba Yaga, dessinées par Liadov.

Le Stenka Razine de Glazounov évoque un personnage historique pour le couronner d’une auréole légendaire, sans faire pourtant de son destin, réel ou transfiguré, un symbole, comme dans le Mazeppa de Hugo et de Liszt, un symbole, c’est-à-dire le sujet essentiel d’un véritable poème symphonique. Toutefois, les flots de la Volga, pour engloutir une captive, y jouent à peu près le même rôle que le Terek de Thamar : l’écho nous en est ici apporté par le célèbre chant des « bateliers de la Volga », qui donne au récit ou au tableau musical, une valeur de légende populaire.

Seul parmi ses compatriotes, le mélancolique, méditatif et inquiet Tchaïkovsky — pénétré d’ailleurs de germanisme musical — s’est interrogé sur le poème symphonique. Dans une lettre à Mme von Meck, il pose la question en des termes à peu près identiques à ceux de Liszt dans sa lettre à Lenz[1] : « Qu’est-ce réellement que la musique à programme ? Pour nous deux, vous et moi, un simple jeu de sons est bien éloigné d’être de la musique. Tout genre de musique est, à notre point de vue, de la musique à programme… L’inspiration d’un symphoniste peut être de deux sortes, subjective et objective. Dans le premier cas, les sentiments personnels de joie ou de tristesse sont exprimés dans la musique… Là, le programme est non seulement inutile, mais impossible. Il en va autrement lorsque le musicien, à la lecture d’une œuvre poétique ou à la vue d’un beau paysage, est enflammé d’enthousiasme pour caractériser musicalement le sujet qui le remplit d’une telle extase. Dans ce cas, le programme est indispensable et il est regrettable que Beethoven n’ait pas prévu de programme pour les sonates dont vous me parlez. » La première sorte de lyrisme était la plus conforme à la nature de Tchaï-

  1. Qu’il n’a sans doute pas connue (voir plus haut, p. 14).