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reux, cela ne fait qu’un — de l’actualité ont sans doute attaché au Zarathoustra de Nietzsche la pensée de Richard Strauss, pour en donner un équivalent musical qui, dès le principe, ne pouvait être ni une traduction ni un résumé. Ainsi parla Zarathoustra, on le sait, ne constitue, en effet, ni ne renferme une doctrine close de philosophie ou de morale. C’est une suite, mais une suite sans ordre, d’aphorismes plus ou moins développés, mis par Nietzsche dans la bouche d’un sage hindou et dont chacun se termine par la formule : « Ainsi parla Zarathoustra. » Ils n’offrent pas plus d’unité ni de cohésion, sinon moins, que les Essais de Montaigne ou les Pensées de Pascal, et il ne viendrait à l’idée d’aucun musicien de mettre en poème symphonique les Essais ou les Pensées. Ces aphorismes de Zarathoustra valent isolément par le piquant de leurs apologues, l’audace ou le caprice de leurs paradoxes et surtout par la magnificence de la langue, la plus belle de toute la littérature allemande, avec celle de Gœthe, en tout cas la plus étincelante. À ce titre, Richard Strauss peut revendiquer une certaine parenté de talent, disons même, si l’on veut, de génie, avec Nietzsche. Cela ne suffit pas à établir un rapport d’ordre lyrique entre son poème symphonique et le livre de son modèle. Ce poème n’est qu’une rapsodie dont les fragments se suivent sans interruption, mais sans unité organique. Après le mystère des « hommes des mondes cachés » (littéralement : « ceux des mondes de derrière »), où un thème d’une simplicité mélodieuse n’a rien de si secret, c’est l’élan du « grand désir » où l’on n’est pas peu surpris d’entendre passer à la dérobée le thème du « Magnificat[1] », puis « les joies et les passions », plus agitées à vrai dire que joyeuses et auxquelles succède par contraste un « chant du tombeau » qui n’est pas particulièrement lugubre. « De la science » vient ensuite, figurée d’abord par une lente fugue, forme la plus stricte en effet et la plus savante de la composition musicale ;

  1. Nietzsche, l’antichrétien par excellence, n’aurait-il pas désavoué ce thème de la liturgie romaine mis sous sa tutelle ?