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Engourdi, assoupi, le sentiment national risquait de s’éteindre peu à peu avant d’expirer tout à fait : il ne survivait plus guère que dans les mœurs paysannes et dans le cœur silencieux de quelques patriotes. Smetana (1824-1896) s’en est fait le chantre, et le meilleur de son œuvre est un hymne à la patrie tchèque. Sans aucun trait politique, d’ailleurs, sans allusion agressive, sans l’ombre de carbonarisme, sa célèbre Fiancée vendue, par ses tableaux chantants de coutumes agrestes et par une musique nourrie à la sève du terroir, a plus fait que des discours, des manœuvres politiques, des complots et des soulèvements pour affirmer les Tchèques dans la conscience d’eux-mêmes, dans le sentiment de leur survie nationale et dans la confiance en un avenir indépendant. Affirmation que le succès de la Fiancée vendue, en Autriche et en Allemagne, a portée chez ceux mêmes qui cherchaient à la nier…

Le cycle de Ma Patrie a joué dans la symphonie et au concert le même rôle que la Fiancée vendue au théâtre[1]. Smetana y obéit à une double influence de Liszt, qu’il avait rencontré dans sa jeunesse et qui lui-même, avec sa vaste, généreuse et infaillible divination, l’avait distingué. Les éclatantes Rapsodies hongroises lui montraient le corpus musical d’une nation moins opprimée sans doute que la sienne, mais tenue aussi en tutelle par les mêmes maîtres. Quant aux douze « poèmes symphoniques » — où Hungaria lui offre l’exemple d’une épopée patriotique condensée en quelques pages —, il en reprend l’esprit et jusqu’à certains procédés.

Le premier des six poèmes du cycle évoque Vysehrad, le glorieux rocher où s’élevait jadis, dans les temps préhistoriques, comme le Walhall de l’Or du Rhin, le palais des rois Prémyslides ; il en chante la splendeur puis, après les combats qui l’ont assailli et détruit, la ruine qui ne domine plus qu’un désert. La harpe de l’aède

  1. Il représente aussi, sur le plan national, ce que sont le lyrisme personnel et intime des deux quatuors auxquels Smetana donne le titre : De ma vie.