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bruyant attirail, avec ses tambours de basque et ses sistres, sent un peu le magasin d’accessoires et, comme dans le Rouet d’Omphale, la scène de ballet. Un récitatif sévère — l’unisson des vents, des cuivres et des cordes en appuie par cette sorte de totalité sonore le caractère impérieux — les arrête : le motif du devoir reprend, s’anime, s’exalte et mène à une apothéose finale. L’austérité triomphe du plaisir, la vertu de la débauche, avec beaucoup plus d’évidence que la séduction féminine, dans le Rouet d’Omphale, ne subjuguait la force du même Hercule.

Pages brillantes et réussies, les quatre « poèmes symphoniques » de Saint-Saëns, qui, en France au moins, ont contribué, plus que ceux de Liszt lui-même, à accréditer ce genre, ne le représentaient déjà, pourtant, qu’avec un certain amenuisement de la forme et, surtout, avec un affaiblissement du lyrisme, devenu plus allégorique que symbolique[1].

À peu près dans les années où Saint-Saëns écrivait ses quatre poèmes symphoniques, en Bohême (on n’avait pas encore inventé la Tchécoslovaquie…), Smetana donnait le titre commun de Ma patrie à un cycle de six œuvres de ce genre, composées de 1874 à 1879. On sait que la monarchie austro-hongroise englobait alors la Bohême, en ne lui conservant que d’une façon toute fictive la qualité de royaume, la politique de Vienne travaillant au contraire à germaniser le pays, à en effacer le caractère national, à lui faire oublier jusqu’à sa langue. Régime d’une oppression sourde et pesante, mais sans brutalité, et qui, ainsi, ne provoquait même pas comme dans la Pologne russe le sursaut des révoltes.

  1. Saint-Saëns a écrit pour le piano à quatre mains, d’après Henri Heine, une composition, le Roi Harald Harfagaard qui, transcrite et développée pour l’orchestre, eût fait un « poème symphonique ». On peut, sans conjecture trop hasardée, imaginer les raisons qui l’en ont détourné, à savoir un sujet, d’une part trop étranger au public, d’autre part dépourvu de tout sens symbolique ou allégorique, double objection qui n’arrêtera ni les Russes ni beaucoup d’autres.