Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas cette Valse de Méphisto, qualifiée par Liszt de simple « épisode » plutôt qu’inspirée du Faust de Lenau ? La description ou l’évocation pittoresque semble y régner sans partage et même sans contraste, comme dans un tableau homogène. Pourtant le violon du diable, dans la Valse de Méphisto, ne déchaînait qu’un tourbillon de danseurs dans une guinguette de village, au lieu que la Danse macabre ressuscite des morts, réveille des esprits, met en branle un cliquetis de squelettes. Le surnaturel s’y évade du réalisme. Le Dies iræ, tourné en dérision, peut être entendu comme un défi de l’enfer au ciel. Voilà un premier élément « poétique » pour justifier le titre de « poème ». Quant au rôle ou au caractère du violon solo, il est complexe. Ses doubles cordes, qui comme dans la Valse de Méphisto déclenchent la danse, doivent à l’accord de la chanterelle sur mi bémol une étrangeté suggestive. Plus loin, avec l’amertume de son chant soutenu dans une tessiture relativement grave, ce n’est plus l’infernal ménétrier, mais l’ange déchu, esclave de sa révolte et de ses maléfices, avant qu’à la conclusion il ne semble prendre la voix de quelque imaginaire « récitant » d’oratorio. Autant de traits ou de détails de la Danse macabre qui, tout descriptifs en apparence, y apportent un élément méditatif pour faire en effet du « tableau » un « poème ».

Dans la Jeunesse d’Hercule, d’Hercule disputé entre le vice et la vertu et gagnant l’immortalité par sa victoire et son supplice, le contraste bien marqué des deux principes, des thèmes qui les représentent, et de leurs développements respectifs, nous ramène d’une façon plus visible à la poétique de Liszt, fort clarifiée. Après une introduction hésitante, un motif d’une noble allure à la fois solennelle et aisée guide les pas du héros sur la route du devoir. Il y est arrêté d’abord par un appel lointain et caressant de nymphes, puis par un cortège de frénétiques et lascives bacchantes[1] dont, à vrai dire, le

  1. Sans réminiscence thématique, le souvenir de la bacchanale de Tannhäuser est ici évident.