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couronne idéale, une auréole. Mais cette purification, cette transfiguration de la musique, en l’élevant à ce sommet, ne dépassent-elles pas plus encore qu’elles ne les dominent, la poétique et le principe même des « poèmes symphoniques » ? Ne vont-elles pas jusqu’à les démentir ou à les contredire plus encore qu’elles ne les illustrent et ne les exaltent ? Et ne serait-ce pas dans le procès de tendance, toujours ouvert, qui lui est fait, un témoignage que le poème symphonique porterait contre lui-même[1] ?

C’est dans l’examen sommaire de ses « poèmes symphoniques » qu’il convenait de chercher la définition d’un genre dont Liszt est le créateur, définition malaisée et qui risque de se dérober, les seuls genres qui admettent une définition précise étant ceux qui peuvent la demander à leur forme : sonnet, ballade, etc. Mais le propre du poème symphonique est de se créer à lui-même cette forme, d’après son sujet. Comme son principe émane, chez Liszt, de la pensée autant que de la musique, on peut trouver l’essentiel de cette définition chez Alfred de Vigny, en tête des poèmes dont il publiait un choix en 1837, l’année même où Liszt, dans la Revue et Gazette musicale, défendait le principe et envisageait le développement de la musique à programme : « Le seul mérite qu’on n’ait jamais disputé à ces compositions, c’est d’avoir devancé en France toutes celles de ce genre, dans lesquelles une pensée philosophique est mise en scène sous une forme épique ou dramatique. » Supprimez dans ces lignes la restriction à la France : chose loisible, puisque la musique est un langage universel ; remplacez les mots « épique » et « dramatique » par celui de « musical » et le manifeste de Vigny devient la devise même de Liszt, formulée seulement avec plus de concision qu’il

  1. Orphée est le titre donné à l’un de ses fragments de Palingénésie sociale par le doux et nuageux Ballanche : dans les années les plus enthousiastes de sa jeunesse, Liszt avait fréquenté et grandement vénéré ce dernier-soupirant de Mme Récamier.