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peuvent sembler aussi capricieux, aussi disparates que dans l’admirable « Fête à Montmartre » de la Vie du poète de Gustave Charpentier ou dans les bouffées d’échos que nous apportent les subtiles et exquises Fêtes de Debussy[1]. Mais nous savons par Richard Pohl[2], que Liszt a écrit Bruits de fête à un moment où il envisageait comme prochain son mariage avec la princesse Caroline de Sayn-Wittgenstein, grande propriétaire foncière en Podolie. Quel jet de lumière, — encore que donné par une lanterne sourde ! Le titre de Bruits de fête pourrait se traduire en clair par Jour de noces seigneuriales à Wronince, avec le rassemblement des « serfs » sonné par la fanfare, avec le thème religieux de la bénédiction nuptiale, avec la gavotte un peu déhanchée et surtout la polonaise nationale des réjouissances populaires. Ce lyrisme secret fait d’un tableau, en apparence tout superficiel, un poème comme les autres — et que la réalité n’a pas suivi.

Reste Orphée.

On imagine sans peine un poème musical — Saint-Saëns en eût fait une composition analogue à Phaéton ou à la Jeunesse d’Hercule — empruntant des éléments descriptifs, narratifs ou symboliques, dans la légende d’Orphée, soit à l’épisode d’Eurydice, soit à Orphée déchiré par les Ménades avant que sa lyre ne soit mise par Zeus au rang des constellations.

Liszt se défend d’un pareil dessein. En évoquant non pas la fable, mais le seul nom d’Orphée, il a voulu célébrer la puissance de l’art, c’est-à-dire de la musique et son rayonnement pour apaiser, par ses « flots mélodieux,

  1. Qui, comme la charmante et rare Soirée dans Grenade, doivent bien quelque chose à l’épisode en si majeur de la polonaise en mi bémol mineur (op. 26, no 2) de Chopin.
  2. Pohl, Uhlig, Weissheimer, Alexandre Ritter, Georges Herwegh, Hans von Bülow lui-même : autant de familiers à qui nous devons des indications souvent précieuses sur Wagner et Liszt. Sans doute n’éclairent-ils pas plus, à la dérobée, que l’envers du décor, mais auquel cette lumière donne parfois sur tel ou tel point une transparence révélatrice.