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verture, le poème symphonique de Liszt débute surtout comme se termine le poème de Gœthe, par un brusque et violent défi :

Und dein nicht zu achten
Wie ich !

C’est ensuite le geste implacable d’Héphaïstos, rivant le Titan à son rocher. Après quelques sursauts de plainte ou de stupeur, le prisonnier se débat furieusement dans ses chaînes, en rappelant dans sa lutte quelques accents de son défi. L’épuisement de l’effort lui impose bientôt une de ces trêves où une illusion d’espoir masque quelquefois pour un moment à l’homme la vanité de ses luttes, au condamné son sort inexorable[1]. Un motif calme, serein, succède à ce combat qui reprend bientôt, plus âpre, plus serré que jamais, sous la forme enchevêtrée d’un vibrant fugato. Mais de ce dernier effort le motif de l’espoir se dégage peu à peu, s’affirme cette fois triomphalement, mêlé à quelques souvenirs du défi initial et du sujet de cette fugue, qui marquait le paroxysme du combat d’où Prométhée sort vainqueur : l’espoir timide est devenu la réalité de l’apothéose.

La succession de ces épisodes est ici encore moins descriptive qu’expressive. Dans sa courte préface, Liszt la caractérise par la suite de quatre mots : « Audace, souffrance, endurance, salvation », qui pourraient aussi bien définir les quatre mouvements d’une symphonie traditionnelle. Plus qu’à l’enchaînement de ces quatre éléments, il s’attache peut-être au tonus général du poème, à l’expression « orageuse » d’une « désolation triomphante », terme plus lyrique que pictural ou narratif.

Ce contraste, où Liszt résume donc plus qu’il ne le décrit le destin de Prométhée, est, comme dans le Tasse, un lamento e trionfo, réalisé par le même moyen, la variation d’un thème douloureux aboutissant à une apothéose.

  1. Pour ce drame même, dont la représentation suivait, Liszt a écrit des chœurs qui reprennent quelques motifs du poème symphonique, sur des paroles qui en précisent la signification. Le motif de l’espoir y chante « la divine, humaine et sage Thémis », guide et protectrice des hommes ; le sujet de la fugue, fort élargi, évoque ce qui « fleurit de céleste sur la terre et élève les hommes au rang des dieux ».