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il a le souffle court, haletant : « He is fat and out of breath », dit de lui la reine.

Le développement est suspendu par un de ces lents répits de méditation que l’on rencontre souvent chez Liszt et non pas dans ses seuls « poèmes symphoniques » : « allusion à Ophélie », dit la partition ; mais Ophélie joue-t-elle un rôle si important dans le caractère d’Hamlet, sinon dans le drame ? Elle n’est qu’une simple formalité, dont il se désintéresse vite. Le fait même que Liszt ait cru devoir marquer ici son intention en trahit l’artifice : rien de pareil à la Gretchen de la Faust-Symphonie ou même à la Francesca de la Dante-Symphonie. Après cet épisode un peu adventice, la reprise d’un développement chaleureux et inquiet, sur les thèmes antérieurs, amène une lente conclusion où reparaît le vague initial. Rien non plus, à proprement parler, de funèbre qui puisse évoquer la scène du cimetière et moins encore le massacre final, mais l’affirmation répétée de l’incurable découragement et de l’impuissance devant les hommes et les choses : Liszt ne tue pas Hamlet, il le laisse vivre dans son inquiétude.

Les thèmes de l’œuvre sont expressifs et accentués. L’indécision qu’exprime la musique est bien celle qui émane du drame, mais là, elle est soutenue, éclairée par la matérialité du spectacle, par la réalité corporelle des personnages. Faute de ce tuteur, elle reste ici décevante et énigmatique. L’Hamlet de Liszt manque d’ailleurs de ce ressort individuel plus ou moins caché que nous avons rencontré dans Tasso et Mazeppa et qui, en se détendant, lançait avec plus de force un développement dont il déterminait aussi la courbe.

Comme Hamlet, Prométhée dessine un caractère[1].

Bien que composé pour précéder le drame de Herder, Prométhée délivré, sinon pour y servir tout à fait d’ou-

  1. « Allons tranquillement de livre en livre, de Hamlet en Prométhée », écrivait un jour à Henri Lehmann Mme d’Agoult (Une correspondance romantique : Mme d’Agoult, Liszt, Lehmann, p. 226, Paris, Flammarion). Même après leur rupture, on voit de temps à autre se profiler derrière Liszt l’ombre de Mme d’Agoult…