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Loin de suivre vers par vers le poème de Hugo, Liszt n’en a donc retenu que le symbole final :

… il court, il vole, il tombe
Et se relève roi,

opposition et contraste plus marqués encore que dans Tasso, plus proches, comme tels, de Beethoven, mais où l’on décèle — toujours comme chez Beethoven — un ferment secret de lyrisme personnel. Le motif principal de Mazeppa est, nous l’avons vu, celui d’une Étude extrêmement scabreuse : elle veut, au-delà de la maîtrise, l’audace et une sorte d’héroïsme des doigts et du poignet, poussés jusqu’au défi et qui ne va pas sans périls. La carrière de virtuose, telle que Liszt l’a fournie, comporte, comme l’histoire de Mazeppa, ses doutes, ses échecs, ses triomphes, achevés par ces cortèges de compatriotes retrouvés qui, après l’épuisement d’un concert, vous hissent sur un pavois pour vous remettre en grande pompe un sabre d’honneur. Sous le tapage, prêtons donc l’oreille au murmure, peut-être au soupir de l’Anch’io

Que doit à son « sujet » un poème symphonique tel qu’Hamlet ? Tout juste ce que le drame de Shakespeare laisse de plus général et de plus sommaire dans la mémoire de chacun de nous. Si les deux termes ne juraient l’un avec l’autre — mais la vie du sentiment et celle même de l’esprit connaissent et admettent la simultanéité des contraires[1] —, on pourrait dire que le souvenir est, dans bien des cas, une concentration diffuse. Ainsi le nom d’Hamlet, lu ou prononcé, ne suscite pas dans notre mémoire, suivant leur ordre et dans leurs détails, les épisodes successifs de la pièce : l’esplanade, le livre, les comédiens, le coup d’épée dans la tapisserie, l’égarement d’Ophélie, le dialogue avec les fossoyeurs, l’hécatombe

  1. Dont la musique seule peut se faire l’interprète, fût-ce par l’artifice et grâce aux ressources du contrepoint.