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Études d’exécution transcendante, qui porte déjà, mais sans préface ni commentaire, le titre de Mazeppa[1]. Le rapport habituel entre le titre et le thème se trouve donc renversé, le titre n’inspirant pas le thème, mais le thème suggérant le titre, c’est-à-dire l’œuvre tout entière. Tel est le cas pour les petites pages du Carnaval et des Scènes d’enfant de Schumann. Mais l’exemple est ici d’une tout autre ampleur et d’une signification plus profonde.

Après le cri ou le coup de fouet qui lance le coursier, le développement du poème, comme celui de l’Étude d’où il est issu, consiste en de simples variations du thème principal, variations qui ne sont guère ici que des répétitions, serrant seulement le rythme de 6/4 à 4, puis à 3/4 et enfin à 2/4 et tendant la tessiture par des modulations régulièrement ascendantes, pour aboutir à la catastrophe de la chute. Procédé exactement contraire, on le voit, à celui de Hugo, qui multipliait les détails descriptifs, tandis que Liszt se borne à une progression uniforme de l’angoisse.

Mazeppa gisant rompu, brisé, tenu pour mort, le thème obstiné de son héroïsme et de son endurance s’effrite en fragments épuisés, pareils aux soubresauts affaiblis d’un agonisant. Des fanfares, d’abord lointaines et qui se rapprochent, annoncent puis amènent la marche des tribus ukrainiennes qui, découvrant Mazeppa, le relèvent, dans les deux sens du terme, et font de lui leur roi. Le thème de son héroïsme reparaît, non plus avec l’obstination tenace de la chevauchée, mais avec une triomphale ampleur de rythme et de sonorité. La variation n’est plus, cette fois, une répétition, mais une transfiguration.

  1. Peu de pianistes se risquent à exécuter ces Études d’après l’édition originale de 1841, d’une virtuosité beaucoup plus luxuriante que la seconde version, jouée communément aujourd’hui et déjà fort difficile : je crois bien pour ma part ne les avoir jamais entendues dans cette première forme que sous les doigts magiques de Busoni. — Dans la Symphonie héroïque, le finale varié reprend de la sorte un thème utilisé trois fois déjà par Beethoven, dans une contredanse de 1796, dans les Variations pour piano, op. 35, et chose plus significative, dans le final de la pantomime-ballet les Créatures de Prométhée, usage qui nous donne la clef de la symphonie « écrite sur Bonaparte », ainsi assimilé à Prométhée.