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avant de mener à une péroraison où la fanfare et le choral assurent l’empire définitif de la foi, en gardant un peu de pompe guerrière.

L’ensemble musical du poème se résume donc dans l’opposition toujours perceptible de l’épée et de la Croix, à une époque et dans une rencontre où la Croix ne pouvait triompher de l’épée que par l’épée elle-même. Ce symbole très simple, très frappant, fait le centre, l’axe, le principe de l’œuvre ; il en dicte l’esprit, en dessine la forme, en choisit et en éclaire les détails. Bien qu’ils émanent d’un tableau, ces détails affectent donc moins d’intentions descriptives qu’ils n’agissent par une vertu d’équivalence : l’idée d’amener un orgue sur le champ de bataille, et dès le ve siècle, serait une double absurdité, par son invraisemblance matérielle et son anachronisme. C’est ici la sonorité seule de l’orgue, attachée pour chacun de nous au sanctuaire et au culte chrétien, qui doit parler à l’imagination et non pas à l’œil.

On le voit dès le seuil des « Poèmes symphoniques » et pour le plus narratif d’entre eux, l’élément pittoresque lui-même n’y est pas à proprement parler descriptif. Loin de se subordonner à la vue, la musique s’y substitue pour en tirer des analogies ou des contrastes d’où naît un symbole et, symbole à part, ce jeu de contrastes est celui même où aboutissait le formalisme classique, dramatisé par le lyrisme beethovénien.

Si Liszt a écrit son poème symphonique du Tasse à propos de Gœthe, il s’est davantage, nous dit-il lui-même dans une courte préface, inspiré de Byron[1]. Deux lignes de cet avant-propos veulent être retenues, parce qu’il s’y trouve un mot qui, par le sens où il est pris, contient ou révèle toute la poétique de Liszt : « Le Tasse a aimé et souffert à Ferrare ; il a été vengé à Rome ; sa gloire est encore vivante dans les chants populaires de Venise. Ces trois moments[2] sont inséparables de son immortel

  1. Le drame de Gæthe est loin, en effet, d’embrasser toute la vie de son héros et n’en retient qu’un épisode où il n’y a encore que de l’amertume, sans tragédie.
  2. Nous soulignons à dessein le mot moment.