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Ce recueillement — qui dit recueillement dit récolte… — allait porter des fruits dont les prémices dataient de loin.

Dès 1837, Liszt ébauchait la théorie de la musique à programme, en soutenait le principe, en esquissait une « défense et illustration », rattachant cette idée nouvelle à la ligne classique, y montrant la solution d’un problème posé notamment par les dernières œuvres de Beethoven et l’incertitude du sentiment où elles nous laissent[1]. Mais, dès ce moment, il fixe et limite le rôle du programme.

« Le programme n’a pas d’autre but que de faire une allusion préalable aux mobiles psychologiques qui ont poussé le compositeur à créer son œuvre et qu’il a cherché à incarner en elle… Il peut l’avoir créée sous l’influence d’impressions déterminées qu’il voudrait ensuite porter à la pleine et entière conscience de l’auditeur[2]. » On a souligné ici deux mots significatifs : le programme doit être « préalable » et rester d’ordre « psychologique ». C’est tout le contraire de la musique descriptive, où les développements et les détails suivent pas à pas les indications matérielles nécessaires à leur compréhension.

Entre temps, les compositions de Liszt antérieures aux « poèmes symphoniques » étaient autant d’essais qu’il y développerait et réaliserait. Ses Études assimilaient, comme son jeu lui-même, le piano à l’orchestre, et, le piano devenant par lui tout un orchestre, l’orchestre allait rester pour lui comme un instrument individuel dans sa main[3]. Dès 1834 et dans les années suivantes, quelques-unes des pièces étonnamment neuves et prophétiques de ses Années de pèlerinage pour piano célébraient déjà des souvenirs, des tableaux, des symboles ; ses

  1. « Pour nous, musiciens, l’œuvre de Beethoven est semblable à la colonne de nuée et de feu qui conduisit les Israélites à travers le désert… Son obscurité et sa lumière nous tracent également la voie que nous devons suivre. » Lettre à W. von Lenz, Franz Liszts Briefe, hgg. von La Mara (Leipzig, Breitkopf et Härtel, tome I, pp. 123, 124).
  2. Gesammelte Schriften (tome IV, pp. 21 et 50).
  3. Si, dans son écriture « pianistique », beaucoup de formules rappellent l’orchestre, il arrive aussi que le piano s’attarde, reparaisse ou subsiste dans son écriture d’orchestre. C’est sensible, en particulier, dans Mazeppa, qui est presque la version pour orchestre d’une des Études d’exécution transcendante.