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CHAPITRE II

LISZT ET LE POÈME SYMPHONIQUE

Ces tendances divergentes, une main, la plus puissante qui eût jamais tiré du clavier un orchestre, celle de Franz Liszt, allait nouer leurs rayons en un faisceau dans les Douze Poèmes symphoniques composés par lui à Weimar, autour de l’an 1850. Né en Hongrie en 1811, mais formé depuis 1823 à Paris dans les années les plus flambantes du romantisme, glorieux à douze ans, bientôt salué ou deviné comme un égal par les artistes de cette époque enthousiaste, jaloux lui-même de s’égaler en effet à eux et d’élever avec lui la musique au niveau et à la dignité sociale de la poésie ou de la philosophie, soutenant cette ambition[1], cette prétention, cette revendication par d’ardents plaidoyers, gavé de littérature française, allemande et italienne, rendu cosmopolite par ses triomphants voyages de virtuose à travers l’Europe, mystique et vaniteux, confondant quelquefois l’autel et l’estrade, l’encens sacré avec le profane, tout ce tumulte généreux mais confus s’était apaisé pour lui et en lui lorsqu’il était devenu, en 1845, directeur de la musique à Weimar, petite mais insigne capitale, émule de Florence et de Ferrare, où vivaient encore le souvenir, la tradition et presque la présence de Gœthe et de Herder[2].

  1. Il en subsiste quelque chose au fond, tout au fond des « poèmes symphoniques », qui lui doivent sans aucun doute un peu de leur hardiesse, de leur éloquence, mais aussi, par endroits, de leur grandiloquence. Avec Liszt, quand le virtuose, devenu compositeur avant de se faire abbé, passe ainsi de l’estrade à la tribune, quoi d’étonnant à ce que cette tribune tienne le milieu entre l’estrade et la chaire ?
  2. Nous sera-t-il permis de rappeler que nous avons tenté ailleurs (Liszt, p. 112 et suiv.) de dégager et d’analyser avec plus de détail les composantes d’où résultent le génie (pour autant que le génie résulte de quoi que ce soit d’assignable) et la poétique de Liszt, tels qu’on les voit se manifester dans les Poèmes symphoniques ?