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théâtral auquel la musique se trouvait associée. Les uns sont de nature descriptive ou narrative, comme les six sonates bibliques de Kuhnau (1700)[1], le Caprice de J.-S. Bach sur le départ de son « très cher frère », les pièces de Werner (1748) et de Mysliwiczek sur les Douze Mois, les nombreuses « batailles » terrestres ou navales dont celle d’Aboukir, par Wanhal, et le Siège de Gibraltar de l’abbé Vogler[2]. Dussek fait un « tableau de la situation de Marie-Antoinette » et, plus tard, en évoque la mort. D’autres cherchent non pas l’anecdote, mais le sentiment. Si une sonate de Clementi décrit la Chasse, une autre exprime le désespoir de Didon abandonnée. Ailleurs, la suggestion essaye de dépasser le domaine du simple pittoresque, comme dans les Neuf Muses de Mysliwiczek. Déjà, çà et là, quelques compositeurs s’inspirent d’œuvres littéraires, comme le fera plus tard Liszt dans quelques-uns de ses « poèmes symphoniques ». En 1755, Francesco Geminiani donne The Enchanted Forest, d’après le treizième chant de Jérusalem délivrée ; en 1777, Raimondi retrace les Aventures de Télémaque, où la flûte personnifie Calypso[3], le hautbois Eucharis, le violon solo Télémaque, le violoncelle solo (plus grave) Nestor, tandis que les bois figurent le chœur des nymphes ; Dittersdorf, entre 1783 et 1785, consacre douze symphonies aux Métamorphoses d’Ovide[4].

À supposer même qu’il en soit sorti, on ne s’attardera pas plus longtemps à ces œuvres descriptives, qui ont précédé le poème symphonique. Le gland ne définit pas

  1. 1o  Combat de David contre Goliath ; 2o  Saül guéri par David au moyen de la musique ; 3o  Mariage de Jacob ; 4o  Maladie mortelle et guérison d’Hiskias ; 5o  Gédéon, sauveur d’Israël ; 6o  Mort et enterrement de Jacob.
  2. Beethoven lui-même n’écrira-t-il pas, en 1814, la Victoire de Wellington à la bataille de Vitioria ? On doit encore à l’abbé Vogler un Jugement dernier et une Mort du prince Léopold de Brunswick, célébrée aussi par Knecht, ce Knecht dont la symphonie intitulée le Portrait musical de la nature (1784) devance de plus de vingt ans la Pastorale de Beethoven. Avant Richard Strauss, le même Knecht avait composé un Don Juan.
  3. Dans la pantomime-ballet de Beethoven, les Créatures de Prométhée, cette flûte soupire aux lèvres d’Euterpe, cependant qu’à l’Opéra on voit alors s’aligner sur la scène une rangée de buccins, mieux faits pour la marche d’Aïda.
  4. Où un Phaéton précède celui de Saint-Saëns.