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graduel de la civilisation du peuple industrieux qui défricha la vallée inférieure du Nil à une époque indéfiniment reculée : car, il faut le dire, les monuments égyptiens des temps les plus antiques ne montrent aucune trace de l’enfance de l’art ; tous le manifestent au contraire à un âge adulte et plein d’expérience. Mais si l’Égypte, dans des périodes fort antérieures aux temps historiques de notre Occident, vit disparaître ses premiers essais de sculpture, de peinture, ou d’architecture, et les remplaça par des produits de ces arts déjà développés, régularisés, et empreints d’un caractère de simplicité grandiose qu’on ne saurait trop admirer ; si l’Égypte, disons-nous, ne conserva aucune trace de ses propres origines, c’est toutefois dans cette contrée que nous devons chercher les origines de la civilisation comme des arts de la Grèce, et par suite le point de départ de notre civilisation moderne. L’étude des monuments et des textes égyptiens, en nous présentant sous son véritable jour l’état politique et religieux du vieil empire des Pharaons, en constatant d’autre part l’état avancé des arts de l’Égypte bien antérieurement aux premières productions de ces mêmes arts en Europe, nous conduira à la source des premières institutions politiques de la Grèce, à Argos et dans Athènes ; cette étude démontrera, par des faits incontestables, l’origine égyptienne d’une partie très-importante des mythes et des pratiques religieuses des Hellènes, sur lesquels restent encore tant d’incertitudes, et qu’on n’a su jusqu’ici réduire en un système régulier, parce qu’on néglige en général de séparer ce qui appartient en propre à la population hellène et ce qu’elle a reçu des colonies orientales.

On reconnaîtra dans les portiques de Beni-Hassan, et dans les galeries de Karnac, exécutées par les Égyptiens bien avant l’époque du siége de Troie, l’origine évidente de l’architecture dorique des Grecs ; en examinant sans prévention les bas-reliefs historiques de Nubie et de Thèbes, on se convaincra que l’art des Grecs eut des sculptures égyptiennes pour premiers modèles ; que d’abord il les imita servilement, et se pénétra de la sage simplicité de leur style ; qu’enrichi de ces moyens, l’art grec, adoptant un principe qui ne fut jamais celui de l’art égyptien, la reproduction obligée des belles formes de la nature, s’éloigna de plus en plus du faire primitif, et s’éleva de lui-même à cette sublimité que n’atteindront peut-être jamais les efforts de nos artistes modernes.

L’interprétation des monuments de l’Égypte mettra encore mieux en évidence l’origine égyptienne des sciences et des principales doctrines philosophiques de la Grèce ; l’école platonicienne n’est que l’égyptia-