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Au bout de laditte iſle, ie vy vn torrent d’eau[1], qui deſbordoit de deſſus vne grande montaigne[2] de laditte riuiere de Canadas, & deſſus laditte montaigne eſt terre vnie & plaiſante à veoir, bien que dedans leſdittes terres l’on voit de hauſtes montaignes, qui peuuent eſtre à quelques vingt ou vingt-cinq lieuës dans les terres[3], qui ſont proches du premier ſault du Saguenay.

Nous vinſmes mouiller l’ancre à Quebec[4], qui eſt vn deſtroict de laditte riuiere de Canadas, qui a quelque trois cens pas de large[5]. Il y a à ce deſtroict, du coſté du Nort, vne montaigne aſſez haulte, qui va en abaiſſant des deux coſtez ; tout le reſte

  1. L’auteur donna plus tard à ce torrent d’eau le nom de Montmorency, qu’il porte encore aujourd’hui. Dans la carte des environs de Québec qu’il publia en 1613, il l’appelle « le grand ſault de Montmorency.» Dans l’édition de 1632, il ajoute : « Que i’ay nommé le ſault de Montmorency. »
  2. C’est-à-dire, un côteau très-escarpé, haut d’environ 300 pieds.
  3. Ces montagnes, qui forment la chaîne des Laurentides, ne sont pas aussi éloignées ; mais elles s’étendent en effet jusqu’au bassin du Saguenay.
  4. C’est ici la première fois que l’on rencontre le nom de Québec, pour désigner ce que Jacques Cartier appelle tantôt Stadaconé, tantôt Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s’exclure, expriment, suivant la langue et le génie des sauvages, comme une nuance particulière du tableau pittoresque que présente le site de Québec. Stadaconé était bâti sur l’aile que forme la pointe du cap aux Diamants ; or, suivant Mgr Laflèche, stadaconé, dans le dialecte cris ou algonquin, veut dire aile, quoique d’autres linguistes prétendent reconnaître dans ce mot une origine huronne (voir Hist. de la Colonie Française en Canada, I, 532, note **). Le mot Canada, dont Cartier nous donne lui-même la signification (« ils appellent une ville canada »), semble avoir désigné l’importance relative que devait avoir Stadaconé par l’avantage même de sa position. Enfin, il est naturel de supposer que les sauvages, après la disparition ou le déplacement de Stadaconé, n’aient pas trouvé, pour désigner le même lieu, d’expression plus juste que celle de Kébec ou Québec, qui veut dire, comme le remarque ici Champlain, détroit, rétrécissement, et même quelque chose de plus expressif, c’est bouché. Ce passage resserré entre deux côtes escarpées, est peut-être ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte le Saint-Laurent, jusque là si large et si majestueux. Or les sauvages du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore actuellement du même mot kebec, pour signifier un lieu où l’eau se rétrécit ou se referme. Inutile de réfuter ici les opinions plus ou moins ingénieuses, qui veulent trouver l’origine du nom de Québec dans l’exclamation d’un matelot normand, quel bec ! c’est-à-dire, quel cap ! ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de toutes ces suppositions, il y a toujours les témoignages imposants de Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir le Cours d’Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)
  5. Le fleuve, devant Québec, a un quart de lieue de large.