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Les Voyages de Champlain.

grand coup de vent, qui dura deux iours. Le 15. dudict mois, nous euſmes congnoiſſance des iſles de Sainct Pierre. Le 17. enſuyuant, nous rencontraſmes vn banc de glace, prés du cap de Raie, qui contenoit ſix lieuës, qui fut occaſion que nous amenaſmes toute la nuict, pour éuiter le danger où nous pouuions courir. Le lendemain, nous miſmes à la voille, & euſmes congnoiſſance du cap de Raye, & iſles de Sainct Paul, & cap de Sainct Laurens[1], qui eſt terre ferme à la bande du Su ; & dudict cap de Sainct Laurens iuſques audict cap de Raie il y a dix-huict lieuës, qui eſt la largeur de l’entrée de la grande baie de Canadas[2]. Ce dict iour, ſur les dix heures du matin, nous rencontraſmes vne autre glace qui contenoit plus de huict lieuës de long. Le 20. dudict mois, nous euſmes congnoiſſance d’vne iſle qui a quelque vingt-cinq ou trente lieuës de long, qui s’appelle Anticoſty[3], qui eſt l’entrée de la

  1. Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproché du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est éloigné de deux lieues.
  2. Cette expression « baie de Canada, » pour désigner le golfe Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont été employés simultanément ; car on voit, par la carte de Thévet, que le golfe Saint-Laurent portait, dès 1575, le même nom qu’aujourd’hui. Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accordés à appeler communément la Grande-Baie, est cette partie du golfe comprise entre la côte du Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve.
  3. L’île d’Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom d’Anticosti, de même que ceux de Gaspé, de Matane, de Tadoussac et autres, était déjà suffisamment connu à cette époque, pour que Champlain se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, dès l’année 1586, Thévet, dans son Grand Insulaire, dit « que les ſauuages du pays l’appellent Naticouſti ; » ce que confirme Lescarbot du temps même de Champlain : « Cette ile eſt appellée, dit-il, par les Sauuages du païs Anticoſti. » D’un autre côté, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans doute des voyageurs qu’il cite, l’appelle Natiſcotec, et Jean de Laet adopte, sans dire pourquoi, l’orthographe de Hakluyt. « Elle eſt nommée, dit-il, en langage des ſauuages Natiſcotec. » Ce dernier nom se rapproche davantage de celui de Natascoueh (où l’on prend l’ours), que lui donnent aujourd’hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui donna le nom d’Ile de l’Aſſomption. Soit erreur, soit antipathie pour le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse l’appellent Ile de l’Ascension. Thévet la mentionne, dans sa Cosmographie universelle, sous le nom de Laisple, et, dans son Grand Insulaire, il l’appelle, comme Cartier, « Iſle de l’Aſſomption, laquelle, ajoute-t-il, d’autres nomment de Laiſple. »