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UN SÉJOUR À BORDEAUX

un homme de trente-trois ans, Eyquem, fils de marchand, conseiller au Parlement de Bordeaux, dont la mère fut sans doute une juive, et qui va illustrer la France et le nom de Michel de Montaigne. Il a perdu son ami Étienne de la Boétie, il y a deux ans, emporté par une de ces pestes maudites qui sévissaient dans le port empoisonné.

Michel est fils de Pierre Eyquem soldat, qui fit de son fils un magistrat : c’est l’ascension régulière du pays. Mais les Eyquem, à Bordeaux avaient été pendant des siècles marchands de père en fils, exportateurs, établis dans la rue de la Rousselle. Ils avaient acheté la maison noble de Montaigne, sur la rive droite de la Dordogne. Michel fut le premier des Eyquem à prendre le nom de Montaigne. Par sa mère, il descendait des Lopez d’une tribu originaire de l’Espagne, que l’on trouve un peu partout dans les villes commerciales du midi de la France, Antoinette de Louppes, comme on disait. Michel de Montaigne est, on le voit, le miroir de Bordeaux.

Michel vient d’épouser Françoise La Chassaigne, dans son milieu de parlementaires érudits, d’une famille que l’on retrouve à toutes les pages de l’histoire du Consulat et du Parlement. Lui, il pense à ce que c’est « bien vivre et bien mourir », à faire sa retraite. Son frère Thomas est huguenot ; Michel est catholique, et surtout l’élève de Socrate, le fils de l’expérience, conservateur et sceptique, s’il en fut. Michel de Montaigne qui a regardé tant de choses, peut bien regarder le spectacle de la reine-mère entrant dans Bordeaux, pour y faire respecter l’édit de tolérance qu’a sans doute commenté, sur ses derniers jours, le cher Étienne de la Boétie, et par là sauver le pays, l’autorité du prince. Quel étonnant jeu, ce compromis à tenir entre huguenots et catholiques ! Quel problème, celui de l’autorité du prince, de la coutume royale !

Dans le cortège, voici le vieux Montmorency qui a mâté Bordeaux, y a fait tomber des têtes, au temps de Henri II, lors du soulèvement de la gabelle. Il porte toujours l’épée nue ! Mais voici, non loin, Michel de l’Hospital, le nouvel Horace, cher aux gens de l’Université où enseigna Buchanan, et à tous les écumeurs de latin du collège de Guyenne. C’est le chancelier, l’apôtre, l’arbitre de la tolérance, et surtout l’homme de la paix à l’intérieur, quand Michel de Montaigne pense à la seule paix intérieure de notre âme. D gitized by