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CHEZ LE CARDINAL DE TOURNON

l’avait déposé chez une pauvre femme. « Mes sy o commansement seus à quy y n’apartené l’on baillié come ung petit chien, je l’é prys come père pour le noury an prince : il le mérite, car sait la plus belle créature que jamays home vit ! » Ainsi sourit un père.

Le prince de Condé se disait plus mort que vif, dans l’impossibilité où il se trouvait de servir sa dame, et ne sachant comment lui porter secours. L’amant lui demandait de lui écrire, puisqu’elle pouvait encore le faire, délibéré qu’il était de hasarder sa vie pour lui rendre un bon service, comme son esclave et serviteur qu’il était. Et sa dame courtoise lui ayant envoyé la robe qui lui avait servi, alors qu’il eût plutôt souhaité son cœur que sa robe, le prince affirmait qu’il préférait mourir que de vivre sans elle. Il lui baisait les pieds et les mains, en attendant mieux : « Mes je pance, cant vous verai, que d’esse je perdré la parolle, car je desire autant ou plus sela que mon salut. Ellas ! mon cœur, ne m’abandonés point ». Condé dessinait ici le monogramme formé de leurs chiffres, ajoutant : « Ses chivres mouront ensemble ! »

D’autres lettres suivirent, où le prince se disait le gentilhomme le plus affligé du monde, quand il pensait à l’amour que Mlle de Turenne lui portait. Il était aussi triste que si on l’avait lui-même emprisonné : « Y a il une plus meschante prysont en France, ny plus lanmantable que le miene, quy me pryve seullement de ma liberté, mes de mon cœur et contantement ? » Il ajoutait, pour la jeune mère inquiète : « Je vous assure que notre fils est une belle et forte corde pour nous randre pour jamays bien atachés ansemble ». Car Condé éprouvait, en lisant les lettres de sa dame, que son amour augmentait au lieu de diminuer. Il se réjouissait surtout de la promesse qu’elle lui avait faite de ne parler jamais à aucun homme vivant. L’amour est jaloux ; et le prince l’était. Oui, le temps semblait venu de lever le masque, de publier partout leurs sentiments exemplaires. Son enfant, Condé l’acceptait comme celui qu’il aurait eu de son épouse : « Car à sont vissage, les deux nostres se reconnesse. » Jamais, dans tous les cas, il ne l’abandonnerait. M. le prince faisait porter à sa dame par Basque, son serviteur, une robe de nuit fourrée. Puisque l’enfant se portait bien, qu’il était bien nourri, comment n’aurait-il pas été l’homme le plus heureux du monde, attaché jusqu’à sa fin à Isabeau ? Les chiffres qu’il traçait pour signer sa missive indiquaient en effet que leurs cœurs ne pourraient jamais être séparés : Fin à la mort !