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CATHERINE DE MÉDICIS

l’enfant chez une pauvre femme qui lui tint lieu de nourrice.

L’affaire avait rebondi, grâce à des bavardages de Charles de Maulévrier, comte de La Marck. Il venait dans deux dépositions, à Dijon et à Mâcon, d’accuser Mlle de Limeuil d’avoir voulu mettre du sublimé dans la nourriture du prince de La Roche-sur-Yon, mari de la princesse qui surveillait avec tant de rigueur les filles de cour. L’époux était tenu pour responsable des sévérités de sa femme à leur endroit. Il semble avoir tourmenté Mlle de Turenne d’une manière particulière. Peut-être surveillait-il simplement avec trop d’attention sa grossesse apparente ? Quoiqu’il en soit, la Limeuil avait été arrêtée entre le 22 et le 29 mai. Elle suivit la cour en prisonnière, fut enfermée dans le couvent d’Auxonne, chez les Cordelières, où le 16 juin elle eut à répondre à l’enquête officielle poursuivie par Martin de Beaune et Antoine de Sarlan.

Interrogée par les juges délégués, Mlle de Turenne protesta avec indignation contre l’accusation d’empoisonnement. Jamais homme ni femme de sa race n’avait eu le cœur mal placé à ce point de commettre un tel forfait ; jamais Isabeau n’avait eu de sublimé, ni aucune drogue dans sa bourse. La bonne Limeuil, aux yeux doux et aux mains fines (Ronsard les a chantées, sans oublier ses lèvres et ses cheveux) n’eût donné le poison même à une bête. M. de Maulévrier n’était qu’un calomniateur ; le prince de La Roche-sur-Yon, un fou et un ivrogne, un brutal, qui la surveillait d’une manière particulièrement désagréable. Certes Mlle de Turenne le détestait, lui faisait la grimace, ne se levait pas sur son passage pour le saluer ; mais elle était incapable de lui faire le moindre mal et de se venger bassement. La Limeuil pleurait, ne dormait plus, ne mangeait plus, faisait appel à tous les cœurs généreux ; elle essayait d’obtenir le pardon de la reine-mère. Envoyée pour passer quelque temps aux Cordelières d’Auxonne, la Limeuil peignit là, pour ceux qui s’intéressaient à elle, des images de piété, tressa des lacs brodés. Et ses amis lui envoyaient quelques hardes, et surtout des lettres.

Nous avons encore celles que lui adressa le prince de Condé, son amant, sans oublier la missive de son secrétaire, qui était peut-être un peu plus que son ami. Les lettres de Condé sont signées de son monogramme. Le prince avait reçu son fils, sain et gaillard, et pour rien au monde il ne l’abandonnerait. Certes, l’envoi de l’enfant dans un panier l’avait surpris. Mais le joli poupon, qui venait de voyager de la sorte durant six jours, le prince