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Ne faut-il pas avant tout adresser des remercîments aux critiques de profession dont tous les coups portent à faux ? Ils arrêtent d’abord la marche de l’homme fort, nuisent à sa fortune, jettent des bâtons dans les roues, creusent des ornières pour faire verser le char, élèvent des barricades vermoulues derrières lesquelles ils se tiennent tremblants, armés de vieilles seringues pleines d’encre. Tout d’un coup, après avoir réparé ses forces, après des mois de défaillance, l’artiste se relève fier, convaincu, fort, et d’un seul de ses regards il fait fuir les médiocrités, les jaloux, les impuissants, les inutiles, les pâles seringueurs d’encre et il traverse triomphalement la voie sur laquelle s’empresse une foule enthousiaste.


Tel est Wagner aujourd’hui, après la séance du mercredi 24 janvier 1860, qui restera une date dans l’éphéméride des arts.


Dès l’arrivée du maître à son pupitre, je compris à la physionomie de l’orchestre que la cause était gagnée. Les musiciens se dérangèrent avec respect et joie, impatients de commencer et saluant l’arrivée de Richard Wagner par des applaudissements d’archets sur le bois de leurs instruments.


Wagner est pâle avec un beau front dont la partie près de la racine du nez offre des bosses très-accusées. Il porte des lunettes et des cheveux abondants sans exagération. C’est une nature bilieuse, ardente au travail, pleine de conviction, les lèvres minces, la bouche légèrement rentrée et le trait le plus caractéristique dans les détails vient de son menton, se rapprochant de la famille des mentons de galoche.

Il y a en lui de la timidité, de la naïveté, du contentement des murmures d’une salle qui paraît disposée à écouter reli-