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470 GÉRABD DE NERVAL Il prétend que celte nourriture lui donne un bon som- meil, des rêves agréables, et que la nuit lui sert de jour. Telle est la position d’un littérateur sérieux, qui écrit habituellement dans les revues, qui a publié des traduc- tions , qui a fait des pièces ; mais Gérard n’en est pas plus triste, ou du moins il cache bien en dedans sa pau- vreté, sachant le peu de compassion que cet état excite chez les gens de lettres. La vie de Gérard sera curieuse à écrire un jour; ce qu’il a supporté de misères, de privations, ses voyages, tout est bon à faire connaître. Il entraîne un ami chez sa blanchisseuse : — Je vou- drais mon linge , dit-il. Son linge se composait d’une chemise. Gérard avec son ami passe dans une chambre voisine afin de changer de linge. L’ami remarque avec étonne- ment que la chemise que porte Gérard n’a pas de col, qu’une des manches est déchirée du haut en bas. — Tu donnes ça, lui dit-il, à la blanchisseuse? — Oh! dit Gérard, cette chemise a Vair en mauvais état. Eh bien! la blanchisseuse me respecte beaucoup à cause de cette chemise... Elle est en toile... J’aurais une douzaine de chemises en calicot neuf, qu’on n’aurait pas les mêmes égards pour moi. Ainsi Gérard avait à son service une quantité de para- doxes qui l’entraînaient loin des habitudes de la société. L’argent qu’il gagnait s’écoulait rapidement en boissons inutiles, en curiosités, en bouquins, en enfantillages; car, avant que sa folie ne fût bien constatée, Gérard se con- duisit toujours en enfant. Je l’ai connu parfois avec des