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168 GÉRARD DE NERVAL anonyme : « Ça trouillotte. » Dans un vers, il est question Des bourgeois à menton glabre. Dans un autre , des habits d’épicier « en queue de sif- flet. » Si Gérard eût osé dévoiler ses admirations en pa- reille société , il était perdu à jamais : c’étaient tous Jeune-France « à cœur de salpêtre. » Quelle miséricorde attendre de poètes terribles, à’Augustas Mac-Keat (-1) entre autres, dont le vers suivant porte évidemment le caractère Radcliffique : Don Alèjo sourit méchamment sous sa cape. Enlre autres choses curieuses de ce cénacle, où l’on se réunissait chaque semaine pour lire ces admirables poésies et ces romans pharamineux qui devaient former par la suite une série de volumes intitulés les Soirées du bousingot, Gérard m’a conté qu’un certain jour le poète Alphonse Brot lut une histoire d’une invention merveilleuse. Une femme du moyen âge avait une passion furieuse dont on parlait par la ville, car tous les jours on lui con- naissait un nouvel amant. Las ! la pauvre femme n’était pas coupable; ses amants, oncques ne les revoyait. Ils sortaient de ses bras , souriants , enivrés d’amour, et ils ne reparaissaient plus. La dame s’inquiétait de cette in- gratitude, et s’étonnait que le même vice tînt tous les hommes. Le dernier qui l’aborda fut l’escholier Jehan, si gentil et si délicat, que sa maîtresse lui fit jurer de re- venir le lendemain. Jehan ne reparut pas. La malheu- reuse éplorée manifeste une douleur si vive, que son (1) Aujourd’hui M. Auguste Maquet, écrivain rangé et peu jeune-France, dont les procès avec M. Dumas père ont montré l’esprit d’ordre.