Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 72 —

prise pas au point de croire qu’aucun prix qui fût en ma puissance m’eût paru excessif, et que j’eusse été plus avare d’aucune propriété que de mon or. Non, je te le jure. Mais, Adelbert, mon âme était tout absorbée dans la haine invétérée que je portais à cet homme, dont les voies courbes et mystérieuses me révoltaient. Peut-être que je lui faisais tort, mais je n’étais pas maître de moi, et toute communauté avec lui me faisait horreur. Il arriva donc encore cette fois ce qui déjà souvent m’était arrivé dans ma vie, et ce dont se compose en général l’histoire des hommes : un événement remplit la place d’une action. Je me suis depuis réconcilié avec moi-même. J’ai appris à révérer la nécessité, et qu’est-ce qui lui appartient plus irrévocablement que l’action commise et l’événement avenu ? J’ai appris à révérer cette même nécessité comme un ordre sage qui conserve et dirige le vaste ensemble dans lequel nous entrons comme des rouages qui reçoivent et propagent le mouvement. Il faut que ce qui doit être arrive. Ce qui devait être arriva, et plus tard j’ai reconnu avec vénération l’impulsion irrésistible de cette force intelligente dans mes propres destinées, et dans celles des êtres chéris sur lesquels s’étendit leur influence.

Je ne sais si je dois l’attribuer à la trop forte tension de tous les ressorts de mon âme, à l’épuisement de mes forces physiques, ou bien au désordre inexprimable qu’excitait dans tout mon être le voisinage odieux de cet individu. Quoi qu’il en soit, à l’instant de signer, je me