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vous pour dit, Schlémihl, que l’on en vient à faire malgré soi ce que l’on n’avait pas voulu faire de bon gré. Je suis toujours d’avis, et il en est encore temps, que vous repreniez votre ombre et votre prétendue. Pour Rascal, nous le ferons pendre ; cela ne sera pas difficile tant qu’il y aura des cordes. Tenez, je vous donnerai mon bonnet par dessus le marché. »

La mère de Mina survint, et la conversation s’établit entre elle et son mari. — « Que fait Mina ? — Elle pleure. — Quelle déraison !… Qu’y faire ? — Je ne sais, mais la donner sitôt à un autre !… Oh mon ami ! tu es bien cruel envers ton enfant. — Non, ma femme, tu ne vois pas juste dans cette occasion. Quand, après avoir versé quelques larmes, elle se trouvera la femme d’un homme honoré et puissamment riche, elle se consolera, et sa douleur ne lui paraîtra plus que comme un songe. Elle remerciera Dieu et ses parents, tu le verras. — Je le souhaite.

Elle possède sans doute aujourd’hui une belle fortune ; mais, après le bruit qu’a fait sa malheureuse liaison avec cet aventurier, crois-tu qu’il soit facile de trouver pour elle un parti tel que M. Rascal ? Sais-tu à quoi monte sa fortune ? M. Rascal vient d’acheter comptant pour six millions de belles et bonnes terres, libres de toute hypothèque. J’en ai eu les titres entre les mains. C’était lui dans le temps qui mettait l’enchère sur toutes celles que je voulais acquérir pour Mina ; il possède en outre en portefeuille pour environ trois millions de pa-