Page:Chamisso - L’homme qui a perdu son ombre, 1864.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 51 —

elle aussi reconnu ? Elle était silencieuse et abattue ; ma poitrine était oppressée. Je me levai de mon siège ; elle se jeta sans rien dire dans mon sein et l’inonda de ses pleurs. Je m’éloignai.

Souvent, depuis lors, je la trouvai dans les larmes, et l’avenir s’obscurcit de plus en plus pour moi. Ses parents, cependant, étaient au comble du bonheur.

La veille du jour fatal arriva. À peine pouvais-je respirer. J’avais, par précaution, rempli d’or un assez grand nombre de caisses. J’attendais avec impatience la douzième heure. Elle sonna. Assis vis-à-vis de la pendule, l’œil fixé sur les aiguilles, chaque minute, chaque seconde que je comptais, était un coup de poignard. Je tressaillais au moindre bruit qui se faisait entendre. Le jour se leva, les heures se succédèrent lentement, comme si elles avaient eu des ailes de plomb ; la nuit survint. Onze heures sonnèrent. Les dernières minutes, les dernières secondes de la dernière heure s’écoulèrent ; personne ne parut. Voilà minuit !… Je compte, les uns après les autres, les douze coups de la cloche ; au dernier, mes larmes s’échappèrent comme un torrent, et je tombai à la renverse sur mon lit de douleurs. Je n’avais plus d’espérance, et je devais, à jamais sans ombre, demander le lendemain la main de ma maîtresse. Un sommeil plein d’angoisse me ferma les yeux vers le matin.