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ta tête, attache-moi à ton destin, et laisse-moi t’aider à le supporter. »

— « Ô mon amie, quelles indiscrètes paroles se sont échappées de tes lèvres ! Rétracte ! rétracte ce vœu téméraire ! Connais-tu le destin que tu t’offres à partager, et l’anathème qui me flétrit ? Me connais-tu bien ? Sais-tu… ? Ne me vois-tu pas frémir et hésiter ? Ne me vois-tu pas, dans mon désespoir, entretenir un fatal secret entre toi et moi. » Elle tomba à mes pieds en sanglotant, et me répéta avec serment la même prière.

L’inspecteur entra, et je lui déclarai que mon intention était de faire la demande solennelle de la main de sa fille le premier jour du mois suivant. Je ne lui précisais ce temps, ajoutai-je, que parce que d’ici là certains événements pourraient beaucoup influer sur ma position, mais que mes sentiments pour sa fille étaient inaltérables.

Le bon homme parut confondu d’une telle proposition de la part du comte Pierre. L’amour paternel a aussi son orgueil. Ravi de la brillante destinée offerte à sa fille, il me sauta cordialement au cou ; puis, revenant de son émotion, il sembla confus de s’être un instant oublié. Cependant, au milieu de sa joie, il lui vint quelque scrupule. Il parla de sûretés pour l’avenir ; du sort qu’il devait chercher à régler en faveur de son enfant : le mot de dot enfin lui échappa. Je le remerciai de m’y avoir fait songer, et j’ajoutai que : désirant me fixer dans un pays où je paraissais aimé, pour y mener